
Alliance Vision : une fraude tentaculaire à 21 millions d’euros orchestrée depuis Israël
Un réseau de soins sous surveillance
Depuis 2021, la Sécurité sociale française soupçonnait plusieurs centres médicaux opérant sous la bannière d’Alliance Vision d’activités frauduleuses. Ce réseau, fondé par deux hommes d’affaires franco-israéliens, Yahir Haddad et Avner Taïeb, promettait des soins ophtalmologiques et dentaires accessibles, rapides, et surtout bien remboursés. Mais derrière la vitrine d’une médecine moderne, les autorités ont découvert un système sophistiqué de fraude à l’Assurance Maladie.
Des anomalies répétées et un signalement des CPAM
Tout débute en juin 2021, lorsque plusieurs caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) signalent des pratiques douteuses. Les fraudes sont multiples : actes facturés plusieurs fois, consultations fictives, examens redondants, soins dentaires réalisés sans justification médicale. Certains patients disent même n’avoir jamais été pris en charge par les centres mentionnés sur leurs feuilles de soins.
Un préjudice colossal pour l’Assurance Maladie
La fraude est évaluée à 21 millions d’euros, un montant qui propulse l’affaire au rang des plus importantes escroqueries sociales de la décennie. Une enquête préliminaire est ouverte par la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco), avec le concours de l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI). Les enquêteurs découvrent une mécanique bien huilée : actes décomposés pour être facturés séparément, soins sans pertinence médicale, et même facturations de patients inexistants.
Perquisitions et coopération judiciaire en Israël
Fin mars et début avril 2024, la coopération judiciaire entre la France et Israël se concrétise par une série de perquisitions dans les villes de Jérusalem, Tel-Aviv, Netanya et Tibériade. Les domiciles de Yahir Haddad et de membres de la famille d’Avner Taïeb sont visés. Du matériel informatique et des documents compromettants sont saisis, confortant les soupçons de la justice française.
Yahir Haddad : un entrepreneur en fuite
Né en région parisienne dans une famille modeste, Yahir Haddad s’est d’abord fait connaître dans le milieu de l’optique avant de bâtir un empire de centres médicaux en France. Charismatique, habile et stratège, il s’installe à Jérusalem en 2022, officiellement pour des raisons personnelles. Mais les enquêteurs estiment que ce déménagement répondait surtout à une volonté de se soustraire à la justice française. Décrit par d’anciens collaborateurs comme ambitieux, il était aussi connu pour son goût du luxe et ses investissements dans l’immobilier.
Derrière cette façade, les enquêteurs décrivent un homme stratège, capable de manipuler les règles administratives avec un sang-froid implacable.
Avner Taïeb : le financier de l’ombre
Moins connu du grand public, Avner Taïeb est pourtant décrit comme le cerveau opérationnel du réseau. D’origine marseillaise, il aurait piloté les flux financiers du groupe et conçu les stratégies de réponse aux contrôles administratifs. Les échanges de courriels internes montrent qu’il donnait des directives précises pour maximiser les remboursements, tout en évitant les sanctions. Il se présentait pourtant comme simple consultant.
Des centres déconventionnés et une riposte administrative
En août 2023, l’Assurance Maladie décide de frapper fort : treize centres Alliance Vision sont déconventionnés. Cela signifie que les soins pratiqués dans ces établissements ne sont plus remboursés que sur la base du tarif d’autorité, soit quelques euros. En parallèle, la plateforme Doctolib retire leurs services de son système de prise de rendez-vous, privant ces structures d’une visibilité stratégique.
Sept mises en examen et une enquête toujours en cours
À ce jour, sept personnes sont mises en examen pour escroquerie en bande organisée, blanchiment, complicité et exercice illégal de la médecine. L’enquête n’est pas close. Des dizaines de centres sont encore passés au crible, tout comme les circuits financiers empruntés pour faire transiter l’argent. Des ramifications en Europe de l’Est, notamment en Bulgarie, sont également évoquées par des sources proches du dossier.
Le parcours du patient au sein des centres Alliance Vision
Dès l’arrivée du patient, une série d’examens est systématiquement proposée, indépendamment des besoins médicaux réels.
Par exemple, des tests d’imagerie optique, généralement réservés à la détection de pathologies spécifiques chez les personnes âgées, étaient fréquemment réalisés sur des enfants dès l’âge de trois ans. Ces examens étaient ensuite facturés à l’Assurance Maladie, malgré leur absence de justification médicale.
Le patient était ensuite orienté vers un orthoptiste pour des examens complémentaires, souvent redondants. Dans certains cas, des consultations avec un ophtalmologue étaient facturées, bien que le patient n’ait jamais rencontré ce spécialiste. Des témoignages rapportent que le seul contact avec l’ophtalmologue se limitait à un tampon apposé sur une ordonnance.
Lorsqu’un patient exprimait des doutes ou des interrogations concernant la pertinence des soins ou les montants facturés, le personnel administratif minimisait ces préoccupations en soulignant que les frais étaient intégralement pris en charge par la Sécurité sociale ou la mutuelle, et que le patient n’avait donc rien à payer. Cette stratégie visait à dissuader toute contestation ou vérification ultérieure.
Ce protocole permettait aux centres Alliance Vision de maximiser les remboursements de l’Assurance Maladie en facturant des actes médicaux souvent inutiles ou fictifs, tout en exploitant la confiance des patients dans le système de santé.
Une coopération exemplaire entre Israël et la France
L’affaire Alliance Vision marque un tournant dans la coopération judiciaire entre la France et Israël. Longtemps critiquées pour leurs lenteurs administratives ou leurs divergences juridiques, les deux nations ont su, cette fois, unir leurs forces de manière exemplaire. La mobilisation rapide de la police judiciaire israélienne aux côtés des gendarmes français de l’OCLTI a permis de percer les mécanismes complexes d’une fraude internationale structurée. Ce travail en synergie a permis de dépasser les frontières physiques et juridiques, pour faire primer l’intérêt public et la justice.
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