Un Allemand ambigu
Article paru dans "Cyberpresse",le 17/12/07
24 heures dans la vie de Mordechaï Wind
Maxim Biller, traduit par Philippe Giraudon.
Folio, 557 pages,17,95 euros
Chaque année, l'événement "Europa" nous envoie une poignée d'écrivains du Vieux Continent pour le Salon du livre. Cette année, j'ai plongé dans le monde de Maxim Biller, écrivain allemand juif, né à Prague en 1960 de parents russes communistes expulsés du Parti après avoir osé critiquer Staline. Le petit Max avait 8 ans lorsque les tanks soviétiques ont envahi les rues de Prague.
Biller connaît Montréal à partir d'une source singulière: Mordecai Richler. Il a accompagné Richler lors de sa tournée allemande au milieu des années 90. Les deux ont passé des soirées ensemble. "Je n'ai pas retrouvé Richler dans les rues vides, m'a dit Biller lors de son passage à Montréal. Je pense que si vous aimez un écrivain, vous êtes mieux de laisser son passé tranquille, et vivre dans ses livres."
Et si nous vivions, nous, dans un roman de Maxim Biller? J'ai tenté l'expérience avec 24 heures dans la vie de Mordechaï Wind, un livre drôle, âpre et feroce. Dans ce roman, on comprend pourquoi on appelle Biller "l'enfant terrible des lettres allemandes". Toutes les cibles sont bonnes pour lui; personne ne sort de ce roman indemne. On voit la connection avec Richler. Sauf que chez Biller, c'est beaucoup plus sauvage.
Motti, le héros de 24 heures ("Motti", c'est le dimunitif de Mordechaï), a les mains sales après avoir fait la guerre dans le Sud du Liban en 1982. Les atrocités qu'il a vues, et peut-êtres commises, lui reviennent chaque nuit quand il se ferme les yeux. À la recherche d'un nouveau paysage, il se rend en Allemagne, le pays où ses parents ont tant souffert, un geste ambigu si jamais il y en avait un. Là, il se lie à une Allemande, une femme solide, très blanche, aux formes opulentes. Il fait une fille avec elle, mais leur relation est tout sauf stable.
Un soir, Motti tombe sur une cassette vidéo où il voit sa fille Nurit, en train de se divertir nue devant la caméra. À partir de là, tout se bouscule. Motti suit sa femme de près dans la course vers la folie, et on apprend que la relation père-fille a quelque chose d'aussi sale que la guerre au Liban. Sa boutique de jeans fait faillite, alors Motti se lance dans une autre tâche ambigüe: il est chargé de convertir des femmes allemandes au judaïsme. Cet homme est un masochiste, pas de doute.
La question juive est à la base de ce roman. Entre Israël et l'Allemagne, il y a peu à choisir: les deux sont pourris. Motti vit une crise d'identité en permanence, à grâce à l'énergie de l'écriture de Biller, on ne le lâche pas d'une semelle.
Éprouvant, parfois? Oui. C'est une descente aux enfers. Mais une découverte aussi, et c'est ça, l'idée derrière "Europa".