
Le bourreau retrouvé : l’homme derrière le “dernier Juif de Vinitsa” identifié
Un cliché qui a hanté l’histoire de la Shoah dévoile enfin l’identité de son meurtrier
Pendant des décennies, la photographie du “dernier Juif de Vinitsa” a incarné l’horreur muette de la Shoah. On y voit un homme agenouillé au bord d’une fosse, dos courbé, regard invisible, et derrière lui, un officier nazi qui pointe une arme à bout portant.
En arrière-plan, des soldats allemands observent la scène, bras croisés ou mains dans les poches, comme s’il s’agissait d’un spectacle ordinaire. Jusqu’à aujourd’hui, ni le lieu précis, ni la date exacte, ni l’identité du tireur n’étaient établis avec certitude. Ce n’est désormais plus le cas.
Un historien allemand perce enfin le silence de la fosse
L’enquête est signée Jürgen Matthäus, historien allemand, ancien directeur de la recherche au Musée de la Shoah à Washington jusqu’en mars dernier. Grâce à une patiente traque de documents, d’archives photographiques et de journaux personnels, il est parvenu à identifier le SS responsable de cette exécution : Jakobus Onnenn.
Selon Matthäus, la scène photographiée s’est déroulée le 28 juillet 1941, dans une forteresse près de Berdytchiv, ville ukrainienne située à une soixantaine de kilomètres de Vinnytsia, juste après la prise de la ville par les nazis, mais quelques jours avant la création du ghetto local. Le lieu de l’exécution : la forteresse de Berdytchiv. Le moment : en pleine journée. L’acte : une mise à mort sommaire d’un Juif dénoncé par des civils ukrainiens.
Le tireur : un officier SS de haut rang, Jakobus Onnenn, ex-professeur reconverti en bourreau méthodique.
Du tableau noir au crime de masse : l’itinéraire d’un SS
Jakobus Onnenn, né en 1906 dans un village proche de la frontière néerlandaise, était enseignant d’anglais, de français et d’éducation physique. Il rejoint les SA dès 1931, puis les SS en 1932, soit avant même l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Lors de l’invasion de l’URSS en 1941, il prend la tête d’une unité mobile de 700 hommes chargée des « opérations spéciales », un euphémisme pour les massacres de masse des Juifs. Son unité, documente Matthäus, serait responsable de plus de 100 000 exécutions en Ukraine jusqu’à l’automne 1942.
« Onnenn aurait personnellement participé à plusieurs exécutions », affirme l’historien. En août 1941, Hitler lui-même visita la région, probablement pour saluer « l’efficacité » des massacres. Lorsque l’Armée rouge reprit Berdytchiv en janvier 1944, seulement 15 survivants juifs furent retrouvés sur les 20 000 que comptait la ville. Onnenn, de son côté, trouva la mort sur le front en 1943.
Une image, un nom, une preuve
La photographie avait été présentée au procès Eichmann à Jérusalem en 1961, par Ad Moss, survivant juif polonais installé à Chicago. Il l’avait reçue à Munich en 1945 d’un soldat américain. Sur le verso figurait la mention « le dernier Juif de Vinitsa », mais aussi une autre annotation macabre : « soixante-dix Juifs et un Arien ».
Personne ne connaissait alors le nom du photographe. Matthäus a découvert un négatif de la scène au Musée de la Shoah, dans un journal personnel appartenant à un officier autrichien de la Wehrmacht, Walter Materna, banquier de métier avant-guerre, né en 1898. Le journal contient une description minutieuse de l’exécution, des cris, des fosses creusées, des blessés achevés au sol, des Ukrainiens désignés pour dénoncer et creuser, et des SS ivres d’impunité.
Sur le négatif, Materna avait noté : « 28 juillet 1941, exécution de Juifs par les SS, forteresse de Berdytchiv ».
La reconnaissance formelle du bourreau
Une version abrégée de l’enquête de Matthäus a été publiée dans le journal Die Welt en 2023. Elle a suscité une réaction immédiate : un lecteur, reconnaissant le nom d’Onnenn comme un parent, a contacté l’historien et fourni des photographies familiales du SS.
Grâce à l’intelligence artificielle, une analyse faciale comparée a été menée.
Résultat : une correspondance à 99 % entre l’homme sur la photo de l’exécution et les clichés privés de Jakobus Onnenn.
« Nous ne connaissons toujours pas le nom du Juif exécuté », souligne Matthäus, mais désormais, l’auteur de cet assassinat symbolique de la Shoah a un visage, un nom, et une histoire. Et cela change tout.
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