La Rose et le Petit Garçon

Les Contes - le - par .
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rose-hiver.jpg Le jardin était inculte : partout des mauvaises herbes, des broussailles et des ronces. Mais dans un coin, on ne sait trop comment, un beau jour s'était épanouie une rose. Sur l'arbuste qui la portait, elle était seule de son espèce et dans le jardin tout autour, aucune autre fleur pour lui disputer la royauté souveraine.Aussi, la rose était-elle devenue extrêmement orgueilleuse.

Chaque matin, elle faisait, avec les gouttes de rosée, la toilette de ses pétales nacrées et quand elle se sentait toute belle, elle exigeait, la vaniteuse, que tout le jardin lui fît compliment, que les brins d'herbe à ses pieds, fissent de respectueuses révérences pour l'assurer de leur obéissance et de leur admiration. Les oiseaux des alentours avaient vite fait sa connaissance: c'est à elle que le soir, le rossignol adressait ses romances,c'est pour elle que l'alouette chantait, et la rose se rengorgeait sur satige épineuse, en se sentant vraiment devenue le centre de l'univers.

Un beau jour, dans la maison, les volets s'ouvrirent, la cheminée se mit à fumer, et un petit garçon apparut au milieu du jardin. Un petit garçon ... Non, à vrai dire, c'était déjà presque un jeune homme, puisqu'il avait treize ans passés, une cravate et des boutons de manchettes.Par la fenêtre ouverte, la rose avait aperçu aussi un vieux monsieur et une vieille dame, mais ils étaient si vieux, qu'ils ne pouvaient plus tenir sur leurs jambes et restaient assis toute la journée dans un fauteuil.

Bien entendu, dès son arrivée,le petit... non, le grand garçon s'était installé en maître dans le jardin. Il s'y promenait, les mains dans les poches,en sifflotant d'un air satisfait, ce qui avait le don d'exaspérer la rose qui sentait sa royauté compromise par ce "malotru", comme elle l'appelait. Il vint naturellement se planter devant la rose, mais ne parut pas particulièrement ému par sa présence: sans doute, était-ce un garçon qui avait déjà vu plus d'une rose dans sa longue vie, et qui trouvait cela tout naturel.Il trouva même tout naturel de vouloir cueillir la rose... et... toc,il s'apprêtait déjà, dans le moindre respect pour la fleur vénérable, à couper sa tige, quand, dans une suprême tentative de son orgueil offensé, la rose hérissa ses épines et fit perler sur les doigts du jeune sacrilège,deux gouttes de sang qui la remplirent de joie.

 

- On ne s'attaque pas comme cela à la reine du jardin, raconta-t-elle fièrement le soir aux brins d'herbe qui l'écoutaient, respectueusement inclinés: il a vu ce qui lui en a coûté, ce malappris » ...  et la rose se dodelinait fièrement sur sa tige intacte... Ah,murmura-t-elle encore avant de fermer les yeux pour s'endormir, je le déteste ce garçon ! ».

 

Et Michel -car c'était ainsi qu'il s'appelait- se mit aussi à détester la rose. Chaque fois qu'il s'approchait d'elle, elle lui lançait dans les jambes ou les mains un de ses piquants acérés ; un jour même, encore à cause d'elle, il avait fait un accroc à sa chemise neuve et la rose avait entendu le soir, en savourant sa vengeance, la vieille dame gronder Michel de toute la force que son vieux corps possédait encore.

Bientôt, ce fut entre eux, la guerre déclarée ; tout le jardin prenait fait et cause pour l'un ou pour l'autre; les rossignols et les alouettes continuaient à chanter leurs mélodies pour leur reine fleurie, mais, par contre,les brins d'herbe s'étaient révoltés contre leur souveraine tyrannique, et ne saluaient plus que Michel. La nuit, la rose avait bien encore un peu l'illusion d'être la seule maîtresse, mais le jour, c'était fini : beaucoup de plantes se rangeaient au côté de Michel : quand il était assis, le lierre venait le saluer en s'enroulant mollement autour de ses bras, les arbres se baissaient pour qu'il puisse mieux les escalader, et même les ronces rentraient leurs épines à son approche.

Parfois,dans la maison, en entendait des bruits de voix : Michel alors disparaissait,et la rose entendait, de loin, des chants mélodieux et des mélopéesqui lui faisaient deviner qu'on était assemblé dans la maison pour la prière commune. Mais la rose avait le coeur dur et elle ne voulait pas prier.

Un beau jour, au moment où le murmure des voix s'arrêtait, elle entendit des sons étranges, des sons tristes et graves, qui la firent tressaillir et la secouèrent pour quelques instants d'un léger tremblement de peur. Des pensées confuses s'agitèrent en elle, elle avait l'impression que son coeur s'adoucissait un peu... et puis, Michel reparut ; alors, la rose se ressaisit,maîtrisa son émotion et hérissa ses épines plus fortement que jamais ; Michel tenait à la main, une grande corne de bélier. C'est sans doute avec cela qu'ils ont soufflé tout à l'heure pour faire ce bruit étrange, pensa la rose,j'ai été bien bête de me laisser émouvoir ».

Michel se promenait, l'air rêveur,son chofar à la main. Il ne s'approcha pas de la rose, on aurait dit qu'il avait peur de la regarder, son regard perdu dans quelque profonde méditation, ne se posa pas une fois sur elle. Puis, au moment derentrer dans la maison, comme s'il prenait son courage à deux mains,il lui lança vite un coup d'oeil, que la rose ne reconnut pas, car,pour la première fois, il était chargé de douceur. Est-ce que par hasard, ce serait l'effet de cette extraordinaire corne de bélier ! » songea la rose.

Le lendemain, après la prière,retentit à nouveau la voix du Shofar. La rose frémit, ses pétales s'agitèrent si fort qu'elle craignit de les voir tomber,et une sorte de remords l'envahit. Elle avait été si orgueilleuse! Et des larmes de rosée coulèrent sur sa corolle ; tout à coup, elle comprit qu'elle n'était plus si belle, que sa robe nacrée se ternissait et qu'elle avait été bien folle de vouloir être la reine du jardin.

Au même instant, Michel sortit, à pas lents ; il marcha vers elle ; elle ne hérissa pas ses piquants; Michel aujourd'hui avait l'air si doux ! Il s'assit auprès d'elle dans l'herbe humide et resta silencieux quelques instants en cherchant ses mots. C'est difficile de trouver les mots qu'une rose pourra comprendre. Écoute, finit-il par dire, nous avons été trop bêtes, toi et moi, nous avons été même très méchants puisque nous nous sommes détestés : j'ai commencé à comprendre cela en écoutant le chofar, et aujourd'hui, j en'y tiens plus, il faut que nous fassions la paix. Hier, le mois d 'Elou la commencé, il précède l'année nouvelle et le jour du Grand Pardon ; et déjà, le son du chofar nous invite à nous repentir. Moi je regrette mes regards méchants et la guerre que j'ai menée contre toi avec les plantes du jardin... Mais toi, Rose orgueilleuse, ne veux-tu pas aussi me pardonner ? »

 

Un petit sanglot agita le corps nacré; la rose était si émue qu'elle ne pouvait pas parler et fit seulement à Michel un petit signe de tête pour lui faire comprendre qu'elle pardonnait aussi.

 

Écoute, si vraiment tu ne me veux plus de mal, finit-elle par pouvoir lui dire, donne-moi encore une joie : je me sens vieille et flétrie, demain soir, peut-être,je serai morte. Je voudrais assister demain à la prière ;entendre encore une fois, mais de près, la voix du Chofar qui nous a réconciliés ».

 

Sur la table où l'officiant a placéson livre, ce matin, une rose est là ; elle est un peu fanéeet ternie, mais elle sourit encore et son parfum embaume la petite chambre où Michel prie avec les autres. L'office terminé, le chofarretentit, grave, pressant. Alors la rose frémit de joie - de joiecette fois, parce qu'elle se sentit légère, libéréede son orgueil ; et dans un dernier sursaut de bonheur, tous ses pétaless'envolèrent, inondant la pièce d'une pluie nacrée.Et Michel en ramassa un qu'il garda pieusement en souvenir de cette rose qu'ilavait enfin appris à aimer.

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