Hier après-midi, à Paris, la marche républicaine, a rassemblé plus de 4 millions de personnes. Les Juifs français ont témoigné pour justifier leur présence au rassemblement et exprimer leurs craintes face à la montée de l'antisémitisme en France. Certains croient encore en la France tandis que d'autres, ont évoqué leur tentation de quitter le pays pour un "avenir plus serein ailleurs".
« Il n’y a pas que des Juifs dans notre cortège. Nous sommes une seule et même famille. Des hommes libres, contre toutes les formes de racisme », assure Nathalie Sitbon, 58 ans, en brandissant un dessin de Charlie Hebdo intitulé « L’amour plus fort que la haine ».
« On marche pour défendre la liberté d’expression et de la presse, mais aussi parce qu’on ne peut pas avoir peur d’être Juif en France. » Affirment Ruben et Rebecca Sabah, 27 et 28 ans.
Foi en la France
Avant la marche républicaine, Sacha Reingewirtz, le président de l'Union des Etudiants Juifs de France, avait exprimé sa confiance en les forces de la République. 'J'ai retenu une phrase du président", a-t-il déclaré:
'Aujourd'hui, la France, aujourd'hui Paris est la capitale du monde, la capitale de la liberté.'
"Quand on attaque des juifs, quand on attaque des journalistes, c'est la démocratie qu'on veut assassiner, c'est la République que l'on veut frapper.
Nous, les étudiants juifs de France, les Français, nous nous dressons. Nous marchons pour la République, nous avons confiance dans la force de la République pour notre avenir en France et notre message sera plus fort que la terreur."
L'antisémitisme subtil
Certains Juifs sont davantage pessimistes quant à l'antisémitisme en France. Selon Renée Borycki, 79 ans, les deux attentats ne sont pas sur le même plan dans l'imaginaire collectif, elle soulève l'antisémitisme latent : " Aujourd’hui, ça me fait mal au cœur qu’on ne crie que “Charlie”, dit-elle. Je n’ai pas entendu une personne qui a crié “Vincennes”. Pour moi, il y a deux poids deux mesures. On se sent comme si on n’était pas Français à part entière."
La peur et l'indignation des Juifs de France
"Est-ce normal de devoir faire un code pour rentrer dans la synagogue, cacher sa kippa sous une casquette, ou aller chercher ses enfants sur le perron de l’école en voiture ? Il faut que cela cesse », assure le couple Zeitoun, d’autant plus « choqués » qu’ils fréquentent le supermarché casher de la porte de Vincennes. « On aurait pu être sous les balles, comme les quatre Juifs décédés vendredi."
Viviane Cohen, 60 ans, conseillère à Pôle Emploi à Paris, raconte la « peur » au quotidien:
« Peur de mettre notre nom sur la boîte aux lettres, peur de donner notre adresse au taxi… », détaille-t-elle. Sur le Boncoin.fr, je me suis fait un compte avec un nom bien français, parce qu’avec un nom juif comme Cohen, j’ai peur. D’ailleurs, pour moi, la question revient souvent: est-ce que je donne mon nom ? »
Un antisémitisme installé
« L’antisémitisme ne vient pas seulement des musulmans radicaux mais aussi des catholiques intégristes. Cela ne changera jamais. Pas avec Marine Le Pen qui monte dans les sondages », rétorque Léa B, résignée.
Le dilemme du départ
Viviane ajoute: " L’atmosphère devient irrespirable en France. Je ne connais personne qui n’évoque pas un départ en Israël ou au Canada, ce qui était inconcevable il y a encore quelques années. Moi, ce qui m’arrête, c’est l’âge. C’est dur de refaire sa vie à 60 ans."
"On ne reconnaît plus la France de notre jeunesse ", souligne Brigitte Lévy, 56 ans. " Je suis Française depuis plusieurs générations, mais je ne sais plus si je reste ou si je m’en vais, soupire-t-elle. En Israël, il y a la guerre, mais on est protégés. En France, le gouvernement a été trop laxiste, il a laissé faire les choses. "
La solution à l'étranger? En Israël?
" Avant de venir à la manifestation, j’ai dit à mes deux enfants, ados : “préparez-vous à terminer votre scolarité ailleurs qu’en France” », lance une femme.
Nathan Guez, 17 ans, en terminale dans une école juive privée de Paris, envisage son départ:
« Je prévoyais depuis longtemps de rejoindre Israël après mon bac, pour vivre pleinement ma vie religieuse. Les attentats me confortent dans mon choix. Je pense que la vie est plus simple là-bas, car l’armée protège les Juifs et tout le monde est très solidaire."
Ruben et Rebecca Sabah se posent les mêmes questions:
« On a maintenant trois possibilités. Soit on reste ici et on vit avec la crainte constante de nouveaux attentats, soit on reste ici et on s’engage dans des associations pour essayer de faire changer les choses, soit on part à l’étranger, peut-être aux Etats-Unis. La fuite n’est pas forcément la meilleure solution car on se sent Français. On va voir comment la situation évolue dans les mois à venir avant de trancher. »
La France coûte que coûte:
« Nos familles ont payé un lourd tribut pour résister aux Nazis, on se doit de rester ici, tranchent Jacques et Léa B, alors que la foule entonne la Marseillaise. On est Français et Juifs.»
Caroline Haïat
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