"Les juifs, ça a de l'argent". C'est de cette manière que trois hommes se sont justifiés d'avoir violemment agressé un couple de confession juive, mercredi 3 décembre, à Créteil.
Selon le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, "le caractère antisémite de l'agression semble avéré".
Pour le sociologue Michel Wieviorka, auteur de "L'antisémitisme expliqué aux jeunes" (Seuil, 2014), ce préjugé liant juifs et argent existait "avant même l'antisémitisme".
Pourquoi persiste-t-il ? Comment le combattre ? Explications de Michel Wieviorka.
Jusqu'où remonte l'image stéréotypée associant les juifs à l'argent ?
- Les préjugés envers les juifs remontent, avant même l'antisémitisme, à l'antijudaïsme. Si l'argent n'était pas encore en jeu, la haine était religieuse : les chrétiens reprochaient aux juifs d’être un peuple déicide, d’avoir tué Jésus et de ne pas vouloir reconnaître la nouvelle religion.
Par la suite, au Moyen Age, les juifs ont souvent été, sinon expulsés, maltraités et confinés à des fonctions liées à l’argent, ce qui était mal considéré. Beaucoup travaillaient dans la banque. Ils ont alors commencé à subir des accusations de rapacité et d’avarice.
Ces reproches ont pris un tour nouveau au XIXe siècle, lorsque s'est construite la critique capitaliste : les juifs ont alors été accusés d’être les agents du capitalisme. Il ne leur était plus seulement reproché d’être avares, mais bien de ruiner le monde par l'argent. Là est véritablement né l'antisémitisme à proprement parler : les juifs ont été considérés comme une race, et associés à un complot d'envergure mondiale, le "Protocole des Sages de Sion".
Tous les juifs étaient-ils concernés ?
- Non, un petit nombre de personnes était visé pour des raisons politiques, alors que la grande majorité des juifs a toujours appartenu plutôt à des masses misérables, des communautés traditionnelles…
Au moment de la révolution industrielle, les juifs ont constitué des bastions importants du prolétariat ouvrier, notamment en Pologne. C’est donc une idée injuste que de réduire le monde juif à la banque, à la finance et à l’argent.
Pourquoi ce préjugé historique est-il encore si présent aujourd'hui ?
- L'agression du couple de Créteil, tout comme l'affaire Fofana, relèvent d'une criminalité mêlant crapulerie et antisémitisme. Mais ces actes s’inscrivent dans un paysage complexe et diversifié. La question israélo-palestinienne, l’islamisme radical, les propos et l’attitude de Dieudonné… Un ensemble de phénomènes excitent en même temps la société. On ne peut donc malheureusement pas isoler ces violences d’un contexte plus large.
Est-il possible d'en finir avec cette stigmatisation ?
- Les juifs se retrouvent dans toutes les catégories sociales, et ils ne sont pas spécialement riches. Mais le problème avec de tels préjugés, c’est que ceux qui les véhiculent sont tellement convaincus de leurs propos qu’ils ne sont pas sensibles au discours de la raison.
Essayez de convaincre les antisémites qu’ils ont tort : ils y verront une preuve de la malignité supérieure des juifs ! Ainsi, en voulant montrer que les juifs n’ont pas un rapport spécifique à l’argent, ceux qui sont convaincus du contraire diront que, d’une manière ou d’une autre, cela atteste de la suprême habilité des juifs à faire croire que nos idées sont fausses.
Alors comment au moins combattre ce préjugé ?
- Chaque fois qu’une catégorie de la société est susceptible d’être sensible à ces stéréotypes, des explications doivent être apportées sur la vérité. Le but est d'éduquer les gens qui pourraient basculer dans le cliché, mais qui peuvent encore entendre des explications raisonnables. Et comme il est difficile de convaincre les plus convaincus, les efforts doivent être fournis au plus tôt, dès l'école. Après, c'est trop tard.
Mais s’il s’agit d’éduquer, il faut aussi préparer les enseignants, qui sont parfois confrontés à des situations qu’ils maîtrisent mal.
Par exemple, un professeur d’Histoire qui parle de la naissance de l’Etat d’Israël, de l’antisémitisme et du nazisme, aura parfois des difficultés à faire cours devant des adolescents qui ont déjà des préjugés. Il est donc primordial de donner aux enseignants des outils pédagogiques qui leur permettent d’affronter des situations où les passions peuvent surgir.
Propos recueillis par Julia Mourri
Source Nouvel Obs
Vos réactions