Le frère fantôme

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                                                         Le frère fantôme

Article paru dans "Le Jeudi", le 09/11/07

le secretfilm.jpgLe succès du livre (largement autobiographique) de Philippe Grimbert aidant, peu de lecteurs ignorent sans doute encore le secret dont il y est question. Claude Miller réussit une adaptation souvent poignante mais par moments un peu trop démonstrative de l'histoire d'un enfant confronté aux fantômes du passé.

Viviane Thill

François Grimbert, 8 ans, enfant malingre et plutôt mal dans sa peau, s'invente un frère idéal. Un frangin audacieux et athlète qui, contrairement à lui, plairait à son père Maxime (Patrick Bruel), sportif accompli et visiblement déçu de François, ce fils timoré et toujours grelottant qui lui ressemble si peu. Mais le spectateur comprend vite que chez François, il s'agit plus que d'un simple fantasme d'enfant unique qui se sent, à tort ou à raison, mal aimé. Le «frère» de François est mis en scène comme un fantôme, une présence invisible qui hante non seulement François mais toute la famille. Un petit chien en peluche, retrouvé par François dans une vieille valise au grenier, va finir par redonner vie – un nom et un destin du moins – à ce frère qui a réellement existé et est mort à Auschwitz avec sa mère Hannah.

D'emblée, le film s'insère ainsi dans une triple thématique: celle d'une relation père-fils ici perturbée par le secret du père dont l'enfant n'aura connaissance qu'à l'adolescence; celle de la relation au corps d'un homme pour lequel le corps sain et sportif s'apparente, bien d'avantage qu'à qu'un simple enjeu physique ou de santé, à une question de vie et de mort; et – encore inconnue de l'enfant –, la relation complexe du père vis-à-vis de son passé. Mais Un secret est aussi la chronique poignante d'un amour qui, en d'autres temps, n'aurait peut-être donné lieu qu'à une banale histoire d'adultère et que l'Occupation et l'antisémitisme vont faire basculer dans la tragédie.

Reproduire les stéréotypes

Bien qu'il en parle peu, Claude Miller est lui-même issu d'une famille juive, réfugiée à la campagne durant la guerre. Né en 1942, il n'en a curieusement jamais parlé dans ses films jusqu'à présent. En revanche, son œuvre fourmille d'enfants et d'adolescents hypersensibles et malheureux. Du jeune homosexuel dans La meilleure façon de marcher au gamin anxieux sans raison apparente dans La classe de neige, en passant par L'effrontée, La petite voleuse et L'accompagnatrice, tous sont en proie à des angoisses indicibles qui les empêchent de se sentir comme les autres.
Comme si revenir à la source historique de ces terreurs d'enfants – dépeintes et sublimées avec poésie dans les autres films – l'avait paralysé, Claude Miller réussit certaines belles scènes dans Un secret mais reste curieusement engoncé par ailleurs dans un scénario un peu trop construit et par moments démonstratif.
Parmi les concepts réussis figure le personnage plutôt original de Maxime qui, non-croyant, se sent bien plus français que juif («l'étoile jaune, c'est pour les immigrés polonais et russes, ceux qui ont un accent», dit-il en substance et sans mauvaise intention) et ensuite, parce qu'il a peur que cela ne recommence, il change son nom de Grinberg en Grimbert et fait baptiser son fils (déjà circoncis). Son culte du corps (mis en parallèle dans le film avec celui des Nazis) participe de cet effort de transcender l'image du Juif rabougri et cérébral tel que le peignaient les antisémites, et c'est une carapace musclée pétant de santé que Maxime et sa femme Tania (championne de natation) opposent aux corps décharnés des victimes de la Shoah, d'où l'effarement de Maxime quand son fils François, premier en classe et inapte au sport, semble reproduire malgré lui l'ancien stéréotype.
Maxime choisit ses femmes juives mais blondes, gère un magasin de vêtements… de sport, et fronce les sourcils quand François s'intéresse à une jeune fille nommée Rebecca Finkiel. Reniant doublement son passé – de Juif ainsi que de mari et de père d'une femme et d'un enfant gazés à Auschwitz –, il traînera toute sa vie durant la culpabilité d'avoir vécu une passion amoureuse après, et grâce à la mort de sa première femme Hannah (Ludivine Sagnier). Ce qu'il ne sait pas mais qu'apprendra François, c'est que, sentant la passion secrète de son mari pour sa belle-sœur Tania (Cécile de France), Hannah n'a pu le supporter et, dans un geste de désespoir et de jalousie folle, a choisi l'anéantissement à Auschwitz, entraînant avec elle son fils Simon, âgé de 8 ans.

Des noms de chiens

C'est Louise (Julie Depardieu), une voisine également juive, personnage éminemment maternel bien que célibataire (et sans doute lesbienne), dont le métier se rapporte aussi au corps, mais à ses soins et à sa rééducation puisqu'elle est kinésithérapeute, qui prend sur elle de raconter à François l'histoire de Hannah et Simon, redonnant ainsi au «fantôme» du frère sportif sa place dans la vie de François. Elle révèle que, tombé amoureux de sa belle-sœur le jour même de son mariage, Maxime a tenté en vain de combattre ce sentiment. Quand la guerre les rassemble au fin fond de la campagne en zone libre et que Hannah ne vient pas, tourmentés par la douleur, la culpabilité et le désir, Maxime et Tania vont s'aimer, puis se marier après la guerre sans jamais plus parler de Hannah et Simon.
Le principal handicap du film est l'épisode «contemporain» (il se passe en 1985) qui nous met face à un François devenu adulte (Mathieu Amalric) et rééducateur lui-même (mais de l'âme et non du corps puisqu'il soigne les enfants autistes) qui part dans Paris à la recherche de son père Maxime ébranlé par la mort de son chien. Pour le père, c'est l'occasion de laisser entr'apercevoir le sentiment de culpabilité qui le ronge, pour le fils celui de lui faire comprendre qu'il lui pardonne et ne le tient coupable de rien.
Mais outre qu'il est plutôt casse-gueule de montrer des acteurs grimés en «vieux» (la caméra de Miller évite assez élégamment de s'attarder sur les visages), cet épisode paraît, dans le film, inutile et assez artificiel, tout autant que l'épilogue dans le cimetière des chiens de la fille de Pierre Laval où Miller superpose à la lecture des noms de chiens (enterrés dans un joli coin du parc) celle des Juifs assassinés qui n'eurent droit à aucune sépulture. C'est là que le film devient assez lourdement démonstratif en appelant à une émotion qu'il suscite de façon plus subtile et profonde dans la description d'un gamin anxieux confronté aux fantômes qui hantent sa famille.

 

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