Eliette Abécassis: Mes grands romans israéliens

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Article paru dans"Le Journal du Dimanche" par Marie-Laure DELORME

 La littérature israélienne est à l'honneur au Salon du livre de Paris (du 14 au 19 mars). La romancière Eliette Abécassis, auteur de Qumram (Ramsay, 1996) et de La Répudiée (Albin Michel, 2000), connaît et aime Israël. Elle en parle dans son oeuvre et s'y rend plusieurs fois par an. Elle évoque pour Le Journal du Dimanche six grands romans israéliens.

Eliette Abécassis livre les clés de ses romans israéliens préférés.

Vie amoureuse, de Zeruya Shalev (Gallimard, 2000)
Vie amoureuse est un roman psychologique d'une immense finesse, dans la tradition de La Princesse de Clèves. C'est un portrait de femme. Ya'ara n'est pas heureuse en ménage. Elle rencontre Arieh. Un homme deux fois plus âgé qu'elle. Elle développe, avec lui, une obsession amoureuse. Arieh était l'amant de sa mère au moment de sa conception. Il existe donc, entre eux, l'ambiguïté de l'inceste. Ya'ara a commencé une thèse sur l'histoire d'Israël. Vie amoureuse est l'histoire d'une triple quête. Amoureuse, identitaire, historique. Zeruya Shalev, née en 1959, possède un sens inouï des situations, de la narration, des dialogues. Elle questionne le mystère de l'amour, la recherche du père à travers l'amant, l'érotisme féminin. Elle parle de la difficulté des femmes à être en couple: rencontrer et vivre avec l'autre. Le roman a fait scandale lors de sa parution en Israël. Car l'auteur de Mari et femme explore, comme la cinéaste Jane Campion, la sexualité féminine. Elle refuse de parler de politique dans son oeuvre. Elle nous rappelle ainsi qu'Israël ne se résume pas au conflit israélo-palestinien.

La Chambre de Mariana, d'Aharon Appelfeld (L'Olivier, 2008)
La mère d'Hugo (11 ans) fuit le ghetto et la déportation. Elle confie, avant, son enfant à une prostituée. Le garçon reste des journées entières enfermé dans un réduit. Aharon Appelfeld, né en 1932, rescapé de la Shoah, montre la détresse de l'enfant et la détresse de la femme. Il montre la rencontre de ces deux détresses. La Chambre de Mariana est parcourue par un souffle puissant. L'émotion qui se dégage de ce livre se révèle, à certains moments, proprement suffocante. On a parfois envie d'arrêter sa lecture tellement on est ému par cet enfant sans parents. Il va survivre grâce à l'humanité d'une femme dans un contexte qui dit justement la perte de l'humanité. Le style est simple. L'auteur d'Histoire d'une vie réussit, avec très peu d'effets, à faire passer une vérité forte.

Beaufort, de Ron Leshem (Seuil, 2008)
L'histoire se déroule durant les deux dernières années (1999-2000) de la guerre du Liban. Beaufort, citadelle construite par les croisés, symbolise la présence israélienne au Liban. Ron Leshem, journaliste et éditeur né en 1976, raconte le quotidien d'un groupe de soldats envoyés là-bas en première ligne. C'est un tableau inédit de l'armée israélienne dont on sait finalement peu de chose car elle vit en vase clos. On suit de l'intérieur, dans Beaufort, l'existence des soldats. Leurs tourments, leurs tracas, leurs peurs. Ils sont jeunes. Ce sont des enfants de 20 ans projetés dans la guerre avec les angoisses, les responsabilités, les décisions de vie ou de mort, les stratégies que ça implique. Ils essayent de s'en sortir psychologiquement, humainement, physiquement. Mais ils ont aussi les soucis et les désirs des jeunes de leur âge. Les rapports avec les filles ; les relations avec les parents. Chacun d'entre eux a son caractère. Ils doivent apprendre à vivre ensemble et à devenir des adultes. Ron Leshem nous donne une vision unique de la culture de l'armée en Israël. On comprend notamment pourquoi ça crée des liens d'amitié exceptionnels. L'argot d'armée est bien restitué par le traducteur Jean-Luc Allouche. C'est devenu en Israël un deuxième langage. Quelque chose de codé que partagent, entre eux, ceux qui ont vécu ces moments-là. Il y a aussi beaucoup d'humour: ça permet de tenir dans les moments dramatiques. J'ai été totalement emportée par Beaufort. Je me suis retrouvée dans ce fort parmi les personnages. J'ai plongé. Je me suis identifiée.

Au coeur des mers, de Samuel Joseph Agnon (Gallimard, 2008)

Nous sommes au début du XXe siècle. Samuel Joseph Agnon (1888-1970), Prix Nobel de littérature en 1966, raconte l'histoire d'un groupe de juifs religieux qui partent de leur Galicie natale pour aller vivre en Palestine. Ils sont guidés par un drôle de personnage qui s'appelle Hananiah. C'est une sorte de juif errant imprégné de culture yiddish. S.amuelJ. Agnon a écrit une fable fantastique inspirée des contes yiddish et orientaux. Au coeur des mers a été écrit en 1926. Il y a deux types de sionisme, le sionisme politique et le sionisme religieux, et le romancier raconte ici ce qu'était l'exaltation religieuse.

L'auteur d'Une histoire toute simple est méconnu en France parce que, jusqu'ici, peu et mal traduit. Emmanuel Moses, le traducteur d'Au coeur des mers, a fait un travail exceptionnel. S. J. Agnon écrit à la manière de la Bible. Expressions, rythmes, syntaxe. Emmanuel Moses réussit à rendre tout ça vivant. Le style devient alors poétique, lyrique, biblique. S. J. Agnon est l'un des plus grands écrivains israéliens. Il a vécu à Jérusalem. Il s'est plaint, un jour, du bruit dans son quartier. La mairie de la ville, par respect pour lui, a fermé la rue avec une pancarte: "Interdiction d'entrer à tout véhicule, écrivain au travail".

Une Histoire d'amour et de ténèbres, d'Amos Oz (Gallimard, 2004)
Amos Oz, né en 1939, cofondateur du mouvement "La paix maintenant" et partisan de la solution du double Etat au conflit israélo-palestinien, rend compte de la complexité d'Israël dans son oeuvre. Une Histoire d'amour et de ténèbres est un livre magistral. C'est une épopée sur les années 1930 en Israël. Amos Oz y parle des pionniers. A partir d'un destin particulier (son enfance et sa famille), il explore les origines profondes d'Israël. Il saisit le passage d'un monde (la civilisation de l'Europe et de la Russie) à un autre monde (la Palestine). Les immigrants ont transporté et adapté leur civilisation. Le romancier capture, dans Une Histoire d'amour et de ténèbres, quelque chose de l'âme israélienne, juive, russe. Elles ont en commun l'amour du livre, du texte, de la culture. Amos Oz possède une immense maîtrise de la narration. L'évocation des personnages est puissante. On est emporté, jusqu'à vivre avec eux.

Petek, de Hanan Frenk (Denoël, 2008)

Fin des années 1960. Le jeune soldat Petek se retrouve, après une mission sur la frontière jordanienne, dans une chambre d'hôpital. Il découvre qu'il a perdu ses jambes. Il a des plaies effroyables. Hanan Frenk a écrit un livre parfois insoutenable de dureté. C'est l'histoire d'une souffrance et d'une guérison. Tout ça se déroule dans l'hôpital avec l'infirmière et les autres soldats blessés. Le livre témoigne des ravages de la guerre. Hanan Frenk, aujourd'hui à la tête du département des sciences comportementales du collège universitaire de Tel-Aviv-Yafo, a écrit Petek à partir de sa propre expérience. On passe, avec ce livre, de l'autre côté du miroir. L'écriture est crue. Aucun détail ne nous est épargné. C'est effroyable et véridique. Petek ne parle pas de politique. C'est un roman humain et intime sur la souffrance née de la guerre : c'est un grand roman. On se plaint beaucoup en France de tout et de rien. Mais quand on lit ce livre, avec ses nombreuses vies détruites, on est amené à relativiser les choses.

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