Article paru dans "L'express"
Histoire de l’autre, Collectif israélo-palestinien,
Editions Liana Levi, 160 pages.
«Histoire de l’autre» est l’aboutissement d’un magnifique projet. Six professeurs de lycée israéliens et six professeurs de lycée palestiniens décident d’écrire un livre pour réunir l’histoire côté Palestiniens et côté Israéliens autour de trois dates clés : la déclaration Balfour de 1917, la guerre de 1948 et la première Intifada de 1987. Utilisé depuis 2002 dans les lycées d’Israël et de Palestine, cet ouvrage est un véritable défi et un pas vers la paix. Chacune de ses deux parties a été traduite dans la langue de l’autre – de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech, de l’arabe par Rachid Akel – pour que ce livre à deux voix puisse être publié dans les deux langues.
L’éditrice, Liana Levi se demande s’il n’est pas temps d’écouter ceux qui, confrontés quotidiennement au conflit et à ses conséquences tragiques, essayent de raison garder et d’écouter «l’histoire de l’autre». Quatre des initiateurs du projet, qui font partie du Collectif PRIME (Peace Research Institute in the Middle East), Sami Adwan, Dan Bar-On, Adnan Musallam et Eyal Naveh, écrivent dans l’Introduc-tion : «Les manuels scolaires se penchent en général sur les affrontements, les guerres, les pertes, la souffrance humaine, et ils négligent les périodes de paix et de coexistence entre deux pays. Les héros des uns sont les méchants des autres. C’est ainsi qu’un pays forme ses enseignants à être des émissaires culturels censés donner raison à un des camps au détriment de l’autre. Nous croyons qu’il est temps de former les professeurs à être des bâtisseurs de paix, à enseigner aux élèves leur propre histoire et celle de l’autre.»
Deux de ces trois dates illustrent la différence de perspective entre les Israéliens et les Palestiniens. D’abord, la déclaration Balfour. Pour les Israéliens, la naissance du sionisme est due à quatre facteurs : la montée de l’antisémitisme moderne, la déception des Juifs occidentaux devant l’inégalité des droits entre Juifs et Chrétiens devant la loi, les nouveaux mouvements nationaux européens et la nostalgie de Sion, partie intégrante de l’identité religieuse et nationale juive. La déclaration Balfour est attribuée à la recherche d’un appui dans le monde juif par la Grande-Bretagne, engagée dans la première guerre mondiale. Et à la confession religieuse du PM britannique, Lloyd George, et de son ministre des Affaires étrangères, Lord James Balfour, chrétiens pratiquants, prônant le retour du peuple d’Israël sur sa terre, conformément à l’esprit biblique.
Pour les Palestiniens, le projet d’établir un Etat juif en Palestine remonte à 1799, à l’époque napoléonienne, c’est-à-dire avant le mouvement sioniste. La déclaration Balfour concrétise la convergence des intérêts entre Britanniques et Sionistes. Les colonisation britannique trouve dans le sionisme un outil pour atteindre ses objectifs et protéger ses intérêts vitaux. A son tour, le sionisme trouve chez les Britanniques un soutien international et un appui concret pour réaliser son projet colonial en Palestine.
Cette différence de perspective est bien évidente lorsqu’on lit que la cause des événements de 1920 à Tel-Haï et à Jérusalem est attribuée par les Palestiniens à la «collusion» entre Juifs et Britanniques, et par les Israéliens à «l’incompétence» de ces mêmes autorités britanniques!
De même, les Palestiniens donnent la version suivante de l’éclatement de l’Intifada ( soulèvement populaire ) en 1987 : «Le soulèvement palestinien eut lieu le lendemain d’un accident provoqué intentionnellement, le 8 décembre 1987, par un camionneur israélien contre un véhicule arabe, accident qui fit les premiers martyrs de l’Intifada.» Ils rappellent le caractère spontané de l’Intifada, sans aucune organisation préalable et sans la moindre intervention de l’OLP. La revendication est exprimée dans une chanson populaire : «Droit au retour / Droit à un Etat / Droit à l’autodétermination / Jusqu’à une conférence internationale / L’intifada nous portera.» Le bilan dressé par le Palestiniens est lourd : 2 000 Palestiniens tués, 110 000 emprisonnés et 500 habitations détruites. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils dressent également le bilan dans le camp israélien : 900 «collaborateurs», 80 militaires et 180 civils israéliens tués.
Selon les Israéliens, le récit de l’incident catalyseur de l’Intifada (secousse) est bien différent : «Le 8 décembre 1987, un camion israélien entra en collision avec une voiture palestinienne dans la bande de Gaza, tuant quatre de ses passagers. Mais les Palestiniens prétendirent que l’accident avait été provoqué et qu’il s’agissait d’un meurtre prémédité !» Ils reconnaissent la répression : «Selon les comptes établis sur le terrain, on frappait même les gens chez eux, sans raison, des familles entières étaient rouées de coups». Et ils trouvent une explication en trois points. Sur le plan personnel, les humiliations subies par les Palestiniens dans leurs contacts quotidiens avec les Israéliens. Sur le plan de la direction palestinienne, la découverte que leurs dirigeants, qui vivent hors des territoires, ne sont conscients ni de leur situation ni de leur souffrance. Sur le plan national, le désespoir et la colère des Palestiniens du fait de la prise de possession par les Israéliens des sources d’eau de Judée et de Samarie, et de l’annexion de nombreuses terres pour y créer de nouvelles colonies. Le résultat commun pour les deux camps ? «Les deux peuples se firent face pour la première fois en tant que partenaires obligés de régler leur conflit.»
A quoi servent deux histoires si elles ne sont que parallèles ? La réponse est donnée par l’historien Pierre Vidal-Naquet dans sa Préface : «Les deux peuples ont été traumatisés, les Israéliens par le souvenir du génocide, les Palestiniens par celui de l’expulsion. Il serait puéril de leur demander d’écrire la même histoire. Il est déjà admirable qu’ils acceptent de coexister dans deux récits parallèles.»
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