Langue sacrée, langue parlée : éloge filmé de l'hébreu

Chronique Cinéma - le - par .
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languesacree-langueparlee-bis.jpgArticle paru dans " Le Monde",le 04/06/08

Jadis
chef-opérateur de films réalisés par Agnès Varda, Jacques Doillon ou
Amos Gitaï, Nurith Aviv s'est mise depuis 1989 à réaliser des
documentaires sur la transmission, l'abandon, la perte. Elle prolonge
aujourd'hui une réflexion sur la langue, entamée avec D'une langue
l'autre où des poètes, chanteurs, écrivains, confiaient leur relation
entre la langue de leur enfance et l'hébreu ? Dans Langue sacrée,
langue parlée, ils sont treize (écrivains et artistes, parmi lesquels
Haïm Gouri, Etgar Keret, Orly Castel-Bloom) à définir leur relation
personnelle à l'hébreu, qui fut langue sacrée pendant des siècles pour
les juifs de la diaspora et qui, par volonté politique, est devenu une
langue parlée au quotidien depuis le début du XXe siècle.

POURQUOI PAS

Qu'est-ce
qui a été préservé, qu'est-ce qui a été oublié, ou refoulé, qu'est-ce
qui demande à resurgir chez ces habitants d'un Etat dont avait rêvé
Theodor Herzl lors du premier congrès sioniste : un foyer pour le
peuple juif installé en Palestine, où chacun parlerait "sa langue car
elle est la patrie bien-aimée de ses pensées" ? Pour le laïc Haïm
Gouri, l'hébreu est "la base de la renaissance nationale". Pour Michal
Govrin, fille d'une rescapée de la Shoah qui avait perdu la foi, "le
Talmud, cet immense poème existentiel, constitue le judaïsme". Née dans
une famille de juifs égyptiens, Ronit Matalon sentait un fossé entre
les livres ancestraux, traduits en termes précieux, et l'hébreu qu'elle
entendait parler dans la vie courante ; elle s'applique à faire en
sorte que la langue sacrée ne soit plus une pièce de musée, devienne
langue vivante, en mêlant dans ses textes la langue des Ecritures et le
langage profane. Fils de survivants de la Shoah, lauréat de la Caméra
d'or au Festival de Cannes en 2007 pour son premier film Les Méduses,
Etgar Keret parle d'un héritage plus intuitif que politique. Ecrivant
ses romans dans un hébreu courant, Orly Castel-Bloom a donné à ses
enfants des prénoms bibliques et fait évoluer son style, mariant le
style du Talmud à un réalisme contemporain. Artiste plasticienne,
Michal Naaman fait l'apologie de l'"étrangèreté" de la langue.

A
l'unisson du prologue du film, qui montre les images de la ligne de
chemin de fer Jérusalem-Jaffa enregistrées en 1897 par Alexandre Promio
en Terre sainte, envoyé par les frères Lumière, Nurith Aviv entrecoupe
ces témoignages de beaux plans montrant les paysages d'Israël filmés
d'un train. Simple et belle, sa réalisation encadre sobrement les
propos sereins et passionnants de ces héritiers d'une tradition, optant
pour un langage laïc ou religieux, poétique ou politique.

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