Le ténor Luciano Pavarotti est mort

Artistes - le - par .
Transférer à un amiImprimerCommenterAgrandir le texteRéduire le texte
FacebookTwitterGoogle+LinkedInPinterest

                                     Le ténor Luciano Pavarotti est mort

pavarotti.jpg

Article paru dans "Le Monde", le 06/09/07

Lorsque fut annoncé, un an après l'ablation d'une "masse pancréatique maligne" pendant l'été 2006, que Luciano Pavarotti allait reprendre le chemin des studios d'enregistrement, personne n'a cru à cette nouvelle qui sonnait aussi faux que les promesses de régime que faisait régulièrement l'illustre "tenorissimvait déclaré au magazine Diva e Donna  : "Il sait qu'il mourra vite et dans nos conversations il parle souvent de son désir le plus grand, rejoindre ses parents et trouver enfin la paix." Une contre-offensive avait dû être lancée pour calmer les rumeurs, avec l'effet inévitablement inverse à celui escompté.

Quelques dates-clés

1935  : Naissance à Modène (Italie).
12 octobre 1961  : Débuts dans La Bohême, au théâtre de Reggio Emilia.
1990  : Premier concert des "Trois Ténors".
2004  : Adieux au Metropolitan Opera de New York.
2007  : Mort à Modène, en Italie, dans la nuit du 5 au 6 septembre.

Le 9 août, Pavarotti entrait à l'hôpital de Modène pour ce qui fut présenté dans la presse locale comme une "pneumonie". Il est mort dans sa villa à Modène, dans la nuit du 5 au 6 septembre, à l'âge de 71 ans. Les ennuis de santé de l'une des étoiles les plus légendaires de l'histoire de l'opéra, qu'on surnommait "le roi du contre-ut", avaient commencé en 2005. Une première vague d'annulations avait affecté le début de sa tournée mondiale d'adieux, qui devait compter de quarante à cinquante concerts. La raison, selon son entourage, en était "une opération pour venir à bout de douleurs au bas du dos". L'opération avait été un succès, assurait le communiqué, "mais M. Pavarotti a ensuite développé une infection pendant son séjour à l'hôpital". Personne, alors, n'avait vraiment cru à ces explications ; mais beaucoup mettaient cela sur le compte d'une voix sur le déclin.

Répondant aux questions du Monde, au printemps 2005, ce jeune père septuagénaire (déjà père et grand-père), remarié en décembre 2003 à Nicoletta Mantovani, l'une de ses proches collaboratrices depuis quelques années, expliquait ainsi son retrait programmé : "Cela fera quarante-cinq ans que je parcours les scènes lyriques. Peut-être, à la fin, changerai-je d'avis ? Mais je ne le crois pas, car la raison principale, c'est ma petite fille, Alice, que je veux voir grandir.

Dans ma vie, je suis tombé amoureux, mais, sans vouloir offenser mes trois autres filles, ou mon ex-épouse, c'est la première fois que je ressens cela. Ma joie est désormais de veiller sur elle." Pour beaucoup de lyricomanes qui avaient adoré la voix solaire et unique de cet immense artiste, il était grand temps que Luciano prenne sa retraite, d'autant que les dernières années de sa carrière avaient perdu de leur panache.


Alors qu'en 2002, il est censé faire ses adieux à la scène du Metropolitan Opera de New York (où il s'était produit près de 400 fois, depuis 1968) devant un public qui s'était délesté de quelques milliers de dollars pour cette soirée de gala, Pavarotti fait savoir au dernier moment qu'il a contracté la grippe. Le directeur du Met, Joseph Volpe, connu pour son franc parler, dit publiquement qu'il réprouve cette manière peu élégante de prendre congé. La presse populaire en fait ses gros titres et reproche au ténor de ne pas avoir pris la peine d'enregistrer un message ou de paraître quelques instants en personne, d'autant que cette représentation devait être diffusée sur écran géant sur la plaza du Lincoln Center, devant l'établissement lyrique. Volpe organisera cependant trois représentations spéciales de  Tosca qui permettront, le 13 mars 2004, à Luciano Pavarotti de faire officiellement ses adieux à la scène new-yorkaise qui l'a tant adulé comme elle continue d'aduler le ténor espagnol Placido Domingo, un autre "chouchou" du Met.

"CHANTER AVEC LE CORPS"

Pavarotti et Domingo étaient les deux dernières grandes stars en exercice de la tessiture. Mais tout les séparait : Domingo aura chanté plus de 120 rôles dans sa carrière, dont des créations contemporaines. Egalement chef d'orchestre, patron des opéras de Washington et de Los Angeles, il n'aura cessé de prendre des risques qui n'auront jamais compromis sa santé vocale, à ce jour toujours insolente. De son côté, Pavarotti se sera cantonné aux rôles de bel canto italien et à des emplois verdiens et pucciniens à sa mesure. C'est à l'occasion d'une polémique sur la capacité de Pavarotti à lire la musique que le ténor italien rendra hommage avec honnêteté et générosité à son confrère dans l'édition du Figaro du 22 juillet 1997  : "C'est vrai, je ne suis pas musicien. Je ne vais pas en profondeur. La partition est une chose, le chant en est une autre. Ce qu'il faut, c'est avoir la musique en tête et la chanter avec le corps. Autrement ce n'est que du solfège chanté. Je ne suis pas un musicien comme Placido Domingo qui peut même diriger un orchestre."

L'ancien manager de Luciano Pavarotti, Herbert Breslin, fait paraître en 2005 un livre coécrit avec notre consœur de New York Times, Anne Midgette, qui attaque frontalement celui qui fut son principal client pendant des lustres. Avec drôlerie, et une méchanceté souvent injuste, The King And I ("Le Roi et moi", le titre d'une comédie musicale de Rodgers et Hammerstein) dénonce et caricature les travers du ténor : ses teintures de barbe et de cheveux à "la suie de bouchon", ses infidélités conjugales, ses manies gastronomiques et ses caprices pharaoniques. A propos de ces derniers, le livre décrit comment le Met dut affréter un avion de victuailles et de cuisiniers pour le Japon, où la compagnie partait en tournée, avec Pavarotti en vedette. Mais celui-ci avait menacé d'annuler ayant appris qu'il risquait de ne pas y trouver nourriture à sa mesure et à son goût. Breslin raconte drôlement comment une suite d'hôtel de luxe à Tokyo fut transformée en cuisine, et comment on dut jeter des monceaux de provisions lorsque Luciano découvrit un excellent restaurant italien quelques étages en dessous de sa suite impériale… Breslin raconte aussi le goût immodéré de son client pour les grandes foules et les dessous de l'aventure des "Trois Ténors" qui fut, à partir de 1990, l'entrerprise de musique classique la plus fortement rémunératrice de tous les temps.

 "QUAND LUCIANO PAVAROTTI CHANTE, LE SOLEIL SE LÈVE SUR LE MONDE"

Comme son père, boulanger de Modène et lui-même ténor, Pavarotti apprend le chant et la musique de manière instinctive. Il affirmait  : "Avec moi, il a vu son propre rêve se concrétiser, et il en a même été un peu jaloux. Il pensait que sa voix était plus belle que la mienne ! Je n'ai eu ses félicitations qu'après treize ans de carrière. Avant, j'étais comparé à Gigli, Caruso, Di Stefano... Mon père était très populaire. Je me rappelle qu'une fois – j'étais à l'hôpital – la porte s'est ouverte, quelqu'un est entré et a dit en me désignant : 'Lui, c'est Luciano, le fils de Pavarotti !'" D'abord instituteur, pendant un an et demi, le chanteur abandonne le métier car, l'obligeant à parler, il risque de ruiner sa voix.

 
Il gagne un concours près de Reggio Emilia et commence sa carrière comme doublure de ténors fameux. Le 15 septembre 1961, il chante pour la première fois un opéra qui deviendra un fétiche, La Bohême, de Puccini. L'image qu'il garde de ces débuts est celle de la visite que lui rend le grand ténor Tito Schipa (1888-1965) dans sa loge. Dans Le Figaro magazine du 26 juin 1993, il confiait à Eve Ruggieri : "J'ai été complètement abasourdi quand cet homme, probablement le plus grand ténor de tous les temps, s'est trouvé devant moi. Il m'a dit  : 'J'ai beaucoup aimé la façon dont vous avez chanté ce soir. Vous êtes très jeune. Continuez à écouter tout le monde, mais chantez toujours comme vous venez de le faire.' Pour moi, le message était très clair. Il faut apprendre à écouter les autres, mais préserver sa personnalité."

En 1963, à l'âge de 27 ans, il remplace, également dans La Bohême, Giuseppe di Stefano, autre ténor légendaire, et est remarqué par le chef d'orchestre Richard Bonynge et son épouse, la soprano Joan Sutherland, deux spécialistes du bel canto. Celle-ci se souvenait, pour Time Magazine, en 1979 de sa première impression : "C'était absolument phénoménal : une résonnance fabuleuse, la couverture du son, et quelle tessiture, quelle sûreté !" Bonynge l'engage pour 14 semaines en Australie, pendant lesquelles, loin des scènes européennes, Pavarotti a loisir d'observer de près la technique légendaire de la soprano et d'en faire son miel. Il est remarqué par Herbert von Karajan qui l'engage bientôt pour l'enregistrement, pour Decca, de La Bohême, avec son amie d'enfance, la soprano italienne Mirella Freni. Ils chanteront souvent ensemble, mais c'est surtout avec Joan Sutherland qu'il pratiquera le répertoire de bel canto.

Sa voix était, selon les spécialistes, la voix typique de "l'amoureux", agile, claire mais bien projetée. Prudent, il n'aborde que la cinquantaine venue les rôles plus lourds, comme celui d'Othello, de Verdi. Plutôt "beau garçon, athlétique" et amateur de football lorsque son épouse, Adua, le rencontre en 1953, Pavarotti prendra, au fil des ans, les kilos qui feront son folklore et sa légende. Adepte de la bonne chère, il luttera sa vie durant avec ce surpoids excessif qui devait l'obliger à bouger le moins possible sur scène. Le Met lui avait d'ailleurs troussé sur mesure des mises en scène où il était quasiment immobile, comme la production de La Tosca, de Puccini, par Franco Zeffirelli.

Toujours couvert, à la ville, de grands foulards Hermès, chantant en concert avec un mouchoir blanc à la main, le "tenorissimo" adorait la presse people et posait volontiers devant une assiette de légumes bouillis tandis qu'il assurait, dans l'entretien, vouloir perdre plusieurs dizaines de kilos... Mais malgré ses excès, son allure de caricature à la Fellini (façon E la Nave va) qui faisait écran devant le vrai Pavarotti, il restera le ténor mythique de la deuxième partie du XXe siècle, ce dont témoigne, pour ceux qui ne l'ont pas entendu sur scène, sa riche discographie, chez Decca. Si d'aucuns ont cru bon moquer cette carrière restée exemplaire malgré les excès des dernières années, de célèbres musiciens accordaient à Pavarotti le plus grand respect. Ainsi, le chef Carlos Kleiber a un jour répondu en une seule phrase bien sentie à une enquête du Monde de la musique sur "Big Luciano" : "Quand Luciano Pavarotti chante, le soleil se lève sur le monde."

Vos réactions

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A voir aussi