Article paru dans "Le Monde",le 20/03/08
Responsable de la section juive du Parti communiste français, Adam Rayski est mort le 12 mars à l'âge de 95 ans. Il appartenait à cette cohorte de juifs d'Europe orientale qui, dans les années 1920, se sont engagés à corps perdu dans l'aventure bolchevique et ont oeuvré en France au même titre que bien d'autres, tels Feintuch (1906-1990), Louis Gronowski (1904-1987), Boris Holban (1908-2004), Henri Krasucki (1924-2003), Léopold Trepper (1904-1982)...
- Dates clés
- 14 août 1913
- Naissance à Bialystock (Pologne).
- 1932
- S'exile en France.
- 1941
- Organise la presse clandestine.
- 1949
- Secrétaire d'Etat du gouvernement polonais.
- 12 mars 2008
- Mort à Paris.
Rayski est né Abraham Rajgrodski à Bialystok, ville frontière entre Pologne et Russie. Fils de petits commerçants, engagé dès 16 ans dans l'action révolutionnaire, à l'exemple de son oncle dirigeant du PC polonais, il adhère aux Jeunesses communistes de la "Russie blanche occidentale". Cette appellation - tirée de son autobiographie exigée par le PCF le 3 février 1934 - en dit long sur sa détestation de la Pologne de l'époque et sur sa fascination pour l'URSS.
Responsable du travail antimilitariste puis secrétaire du PC de Bialystok, il est repéré par la police et s'exile donc, en 1932, à Paris, où il devient apprenti dans la confection tout en suivant une formation de journaliste militant ainsi que des cours à Sciences Po et à l'Ecole pratique des hautes études.
En 1933, il est nommé membre de la direction de la section juive du PCF appartenant à la MOI (Main-d'oeuvre immigrée), qui organise dans ses "groupes de langue" les communistes étrangers, sous la direction de Gronowski. Pratiquant le polonais, le russe, le français et l'allemand, Rayski, devenu permanent du parti, est chargé de créer un journal en yiddish, Naïe Presse (Presse nouvelle), tout en se formant comme stagiaire à L'Humanité.
Mobilisé en mai 1940 dans l'armée polonaise en France, il revient à Paris après la défaite, et redevient dans la clandestinité l'un des dirigeants de la section juive. En avril 1941, il est envoyé en zone sud pour y réorganiser la section et s'occuper de l'évasion des communistes étrangers internés dans les camps de Gurs et du Vernet.
Après la dure période d'août 1939 à juin 1941, qui a vu les communistes pratiquer une neutralité plus ou moins marquée à l'égard des nazis, l'attaque allemande contre l'URSS les replace dans une résistance active à l'occupant, en particulier les juifs. Revenu à Paris, aidé de sa femme, Jeanne, qui est son agent de liaison, Rayski s'occupe de la presse clandestine qui sensibilise les juifs aux menaces de déportation et cherche à rompre leur isolement en créant, en août 1942, après la rafle du Vél d'Hiv, le Mouvement national contre le racisme, et ses journaux clandestins (J'accuse, Fraternité).
Parallèlement, il sélectionne les militants susceptibles de s'engager dans la lutte armée au sein du 2e détachement des FTP-MOI parisiens - essentiellement juif -, qui sera démantelé par la police en juin 1943. Traqué par la police, il passe, en juillet 1943, en zone sud, où il participe, en janvier 1944, à la création du Conseil représentatif des israélites de France (le CRIF).
Après guerre, Rayski demeure le principal dirigeant de la section juive, devenue Union des juifs pour la résistance et l'entraide, entretenant des relations avec les sionistes. Dès 1946, lors d'un séjour à Varsovie, il renoue avec des camarades de la MOI devenus chefs du service de renseignement militaire et du contre-espionnage polonais.
CRITIQUE DU COMMUNISME
Sans doute sont-ce ces relations qui le contraignent à quitter précipitamment la France fin 1949. Grâce en particulier à la recommandation de Jacques Duclos (l'homme du KGB au sein de la direction du PCF), il est nommé, avec rang de secrétaire d'Etat, responsable de toute la presse polonaise. Devenu un apparatchik, ce stalinien convaincu est pris dans les remous - mi-antisémites, mi-antistaliniens - de l'automne polonais de 1956.
Démis de ses fonctions, envoyé à Paris, en juillet 1957, pour créer une maison d'édition - mission effective ou couverture ? -, il est arrêté, le 6 octobre 1959, et déféré à la justice militaire pour complicité dans le cadre de l'affaire Hermann Bertelé, l'un des chefs du service de renseignement militaire polonais en France, et condamné à sept ans de prison en juillet 1961. Grâce au soutien d'anciens résistants haut placés, il sera libéré par anticipation en mars 1963. Adam Rayski mène alors une vie anonyme. Salarié d'oeuvres sociales juives, il publie, en 1985, Nos illusions perdues, où, évoquant son itinéraire, il dresse un tableau très critique du communisme, qualifié de "dictature" et de "régime totalitaire".
Entré en contact avec plusieurs historiens auxquels il apporte son témoignage de première main, il participe à l'élaboration du documentaire de Mosco Boucault, Des terroristes à la retraite, puis à Qui savait quoi de l'extermination des juifs (1987), et surtout au Sang de l'étranger (1989) - première esquisse d'une histoire générale de la MOI. L'effondrement de l'URSS et du système communiste international après 1991 semblait l'avoir, à la fin de sa vie, rapproché du PCF, qui vient de lui rendre publiquement hommage.
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