La contrebande d'armes entre l'Egypte et la bande de Gaza via le "couloir de Philadelphie"
Article paru dans "Le Monde" , le 21/08/07
D'où provient l'armement ultramoderne du Hamas et des milices autonomes opérant dans la bande de Gaza ? Lorsqu'on leur pose cette question, les experts israéliens pointent le doigt vers l'Egypte. Surtout vers une ville partagée entre l'Egypte et la bande de Gaza par le fameux "couloir Philadelphie", un no man's land de 15 kilomètres de long sous lequel serpentent les tunnels de contrebande d'armes.
Au début des années 1980, les contrebandiers importaient principalement des appareils électriques ainsi que du cannabis dans la bande de Gaza. C'est également par ces tunnels que transitaient alors des prostituées étrangères désireuses de travailler ensuite en Israël. Mais, durant la première Intifada (1987-1991), c'est par la même voie que les organisations palestiniennes ont acquis quelques armes et que des "terroristes" recherchés par les services de sécurité de l'Etat hébreu ont trouvé refuge dans le monde arabe. A partir de la deuxième Intifada (2000-2005), ces souterrains se sont transformés en industrie fonctionnant jour et nuit.
En application des Accords d'Olso, les services officiels de l'Autorité palestinienne (AP) sont dotés de kalachnikovs hors d'âge et parfois de fusils-mitrailleurs américains M16. Les milices qui s'approvisionnent grâce aux tunnels disposent, elles, de matériel plus performant. Convoqué à plusieurs reprises par la Commission de la défense de la Knesset, le directeur général du Shabak (la Sûreté générale), Youval Diskin, a estimé qu'en un an 300 tonnes d'explosifs, des dizaines de RPG (antichars), des roquettes à longue portée Grad ainsi que quelques missiles antiaériens avaient été importés par le Hamas. Les milices moins importantes se seraient contentées, de leur côté, de fusils-mitrailleurs et de munitions.
DURÉE DE VIE DE SIX MOIS
En moyenne, une quinzaine de souterrains fonctionnent simultanément, mais leur durée de vie excède rarement six mois. Soit parce qu'ils s'effondrent, soit parce que les Israéliens - et beaucoup plus rarement les Egyptiens - les détruisent. Quoi qu'il en soit, ces tunnels sont longs d'au moins 700 mètres et cheminent à 10 mètres de profondeur au minimum. Certains peuvent toutefois dépasser 1 kilomètre de long. Ceux-là sont étançonnés et pourvus d'une ligne téléphonique reliant l'œil (l'entrée) à la sortie. Tous aboutissent en tout cas dans des vergers proches de Rafah ou dans les immeubles proches du "couloir Philadelphie" qui n'ont pas été rasés par les bulldozers israéliens entre 2002 et 2004.
Certes, à partir de 2002, le Fatah a tenté de créer des filières d'approvisionnement par la mer. A ce propos, l'épisode le plus connu reste sans conteste l'arraisonnement du Karine A, un caboteur venu du Liban et qui transportait des dizaines de tonnes de matériel destiné aux partisans de Yasser Arafat. Mais les tunnels restent le moyen de contrebande le plus sûr. Depuis la victoire électorale du Hamas (janvier 2006), c'est d'ailleurs par eux que transite également l'argent récolté à l'étranger par le mouvement islamiste afin de payer ses miliciens.
Selon des membres du clan Abou Rich (la famille contrôlant les plus importants tunnels de Rafah) arrêtés par l'armée israélienne ou par les ex-services de sécurité de l'AP, les souterrains constituent avant tout une affaire juteuse. Surnommé "président", le propriétaire du tunnel prélève en effet 25 % du prix à l'achat de chaque arme transitant par son "bien". Lorsque des personnes ou des sommes d'argent doivent transiter entre les deux parties de Rafah, le souterrain se loue alors de 30 000 à 50 000 dollars l'heure. Nets d'impôts, bien entendu.