Le crime sans fin de Yigal Amir
Article paru dans"Libération", le 04/11/07
Pour insulter la mémoire de Yitzhak Rabin, son assassin, véritable icône diabolique en Israël, multiplie les provocations en prison avec l’aide de sa femme.
Ses yeux sombres et son sourire sarcastique sont connus de tous les Israéliens. L’accouchement de sa femme, il y a quelques jours, a fait la une de la presse people, mais aussi de quotidiens populaires comme Maariv ou Yédioth Aharonot. Douze ans après l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, le public israélien semble bien davantage intéressé par son meurtrier, Yigal Amir, que par la mémoire de la victime. «Yigal Amir et Larissa Trimboler, la femme qu’il a épousée en prison, ont un comportement très provocant. Ils tentent sans cesse de capter l’attention du public. C’est assez facile, car tous les ingrédients sont là : sexe, mariage, meurtre», explique Tamar Hermann, professeure de sociologie à l’université ouverte d’Israël.
Aujourd’hui âgé de 37 ans, Yigal Amir purge une peine de réclusion à perpétuité, en isolement, dans une cellule de la prison de Beersheva, dans le sud d’Israël, sous surveillance continue de caméras. Il n’a jamais exprimé de regrets pour son acte. En 2004, il a obtenu l’autorisation de se marier avec Larissa Trimboler, 42 ans, divorcée et mère de 4 enfants. Depuis, les tribulations du couple – de la tentative d’Amir de remettre à son épouse un sac plastique contenant son sperme, à l’autorisation des visites conjugales, et à la grossesse de Larissa Trimboler – suscitent l’intérêt du public israélien, fasciné. Dernier rebondissement: la décision d’un tribunal de Tel-Aviv d’autoriser la circoncision de son fils dans sa prison dimanche. «Ironiquement, la circoncision est prévue le jour anniversaire de la mort du Premier ministre, selon le calendrier grégorien» , a reconnu le juge.
Soupçons. Larissa Trimboler a récemment accordé plusieurs interviews à des émissions people, à la télévision, et même à la radio nationale, où elle a dénoncé les conditions de détention de son époux. Elle s’est également insurgée contre «la campagne de diffamation» du Yédioth Aharonot , qui soupçonne le couple d’avoir planifié la naissance de leur enfant, afin qu’elle puisse coïncider avec l’anniversaire du meurtre de l’ancien Premier ministre, dimanche.
Chef de l’état-major israélien lors de la guerre des Six Jours, en juin 1967, qui s’était soldée par la conquête de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël, Yitzhak Rabin avait au terme de négociations secrètes avec les Palestiniens signé en 1993 les accords d’Oslo, qui devaient par étapes mener à la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. Un an plus tard, il recevait le prix Nobel de la paix, conjointement avec Shimon Pérès, alors ministre des Affaires étrangères, et le leader palestinien Yasser Arafat, autre signataire des accords. Le 4 novembre 1995, Yigal Amir, un juif religieux d’extrême droite, descendait Rabin de trois balles dans le dos, à Tel-Aviv, dans le but affiché de faire capoter le processus de paix. Cet assassinat, commis à l’issue d’une manifestation pacifiste monstre, a plongé le pays dans la stupeur, alors que naissait l’espoir d’une possible issue au conflit israélo-palestinien.
«L’opinion israélienne est fascinée par Yigal Amir, qui est comme un héros négatif, un démon, une sorte de mal absolu. Il ne trouve grâce qu’aux yeux d’une frange très minoritaire de l’extrême droite», souligne la sociologue Tamar Hermann. Ce petit groupe, cependant très actif, a lancé la semaine dernière lors des commémorations selon le calendrier hébraïque de l’assassinat de Rabin une campagne nationale pour la libération de Yigal Amir.
«Diversion». Le Comité pour la démocratie a ainsi diffusé à 150 000 exemplaires une vidéo d’une quinzaine de minutes montrant la famille d’Amir, et appelant à libérer l’assassin au nom «des droits de l’homme» et de la «réconciliation nationale». Ses défenseurs mettent notamment en avant l’argument qui veut qu’un «meurtre soit un meurtre», et qu’il n’y a pas de raison que Yigal Amir ne bénéficie pas de remise de peine et soit soumis à un régime carcéral spécial. Cette campagne a provoqué les réactions indignées de nombreux militants pour la paix et les déclarations incendiaires de plusieurs hommes politiques, dont le chef de l’opposition Benyamin Nétanyahou. «Il s’agit d’un crime politique qui a brisé un tabou dans le pays. Si cela tenait à moi, je ne le libérerais jamais» , a affirmé l’ancien Premier ministre.
La mobilisation de certains membres de l’extrême droite en faveur de Yigal Amir et l’intérêt des médias durant la grossesse de Larissa Trimboler font partie de la même «stratégie de diversion» , estime Yoram Peri, professeur de communication à l’université de Tel-Aviv et ancien conseiller de Yitzhak Rabin. «Le même scénario se rejoue tous les ans à l’approche des commémorations de l’assassinat de Rabin. L’opinion conservatrice, souvent religieuse, dans tous les cas opposée au processus de paix avec les Palestiniens, tente de détourner l’attention du public israélien des vraies questions qui ont été posées par son assassinat : comment définir l’identité collective israélienne ? Comment faire la paix avec nos voisins ? Comment définir la démocratie israélienne ? » explique l’ancien conseiller de Rabin, qui ajoute : «Les années précédentes, ce sont les théories du complot [selon lesquelles le Shin Bet aurait orchestré l’assassinat d’Yitzhak Rabin, ndlr] qui sévissaient. Cette année, c’est la naissance de l’enfant de Yigal Amir et la campagne pour sa libération. Toutes ces diversions relèvent du même mécanisme : usurper une véritable commémoration de la mort de Yitzhak Rabin.»