
Woody Allen, ce digne héritier d’une longue lignée de Juifs d’Europe de l’Est qui a fini par s’installer aux Etats-Unis pour échapper aux persécutions de toute nature a apporté à la culture américaine son humour corrosif, son sens de l’autodérision et sa capacité à rire des pires désastres.
Ses films, dans lesquels il s’amuse à camper les mœurs des intellectuels new-yorkais, névrosés et adeptes (comme lui) du divan du psychanalyste, sont d’authentiques plongées dans l’âme humaine.
Capable de provoquer le fou rire du spectateur, Woody Allen le mène simultanément aux limites du tragique.
Car dans son œuvre, les grands problèmes existentiels – D.ieu, le malentendu entre les sexes, la maladie, la morsure de la culpabilité, la tyrannie du doute et, bien sûr, la mort – ne sont jamais très loin.
Woody Allen nous plongent dans les recoins les plus sombres ou cinoque de notre psychique. Son tout dernier chef-d’œuvre, « L’homme irrationnel » une comédie féroce et sophistiquée, où l’amour, comme toujours chez le cinéaste, n’est jamais au fond, qu’une histoire de fesses, des questions éminemment alleniennes: comment traverser l'existence? Qu'est-ce qu'un acte bon? Peut-on rendre le monde meilleur ….. Et si cette analyse nous mentionner en réalité le chemin du bonheur?
L’histoire….professeur de philosophie, alcoolique ,Abe Lucas est un homme dévasté sur le plan affectif, qui a perdu toute joie de vivre.
Peu après son arrivée dans l’université d’une petite ville, Abe entame deux liaisons. D’abord, avec Rita Richards, collègue en manque de compagnie qui compte sur lui pour lui faire oublier son mariage désastreux.
Ensuite, avec Jill Pollard, sa meilleure étudiante, qui devient aussi sa meilleure amie. C’est alors que le hasard le plus total bouscule le destin de nos personnages dès lors qu’Abe et Jill surprennent la conversation d’un étranger et s’y intéressent tout particulièrement. Après avoir pris une décision cruciale, Abe est de nouveau à même de jouir pleinement de la vie. Mais ce choix déclenche une série d’événements qui le marqueront, lui, Jill et Rita à tout jamais.
L'impunité du mal
Dans L'Homme irrationnel, on peut se retrouver dans l'approche plus désabusée d'Abe Lucas (Joaquin Phoenix) et Rita (Parker Posey), l'autre professeure déterminée à le séduire, ou dans l'idéalisme juvénil de Jill (Emma Stone) comme dans Vicky Cristina Barcelona déjà, Penelope Cruz, Scarlett Johansson et Rebecca Hall incarnaient chacune un rapport singulier à la vie, du plus passionné au plus raisonnable.
Du mystère des origines
Pour comprendre où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ! La pensée juive s’interroge en permanence sur les origines, le point de départ – de la vie, de l’être.
Etre juif, c’est se poser des questions, nous dit-elle. Tout petit, Woody Allen a repris le flambeau de cette tradition. « Quand j’étais gosse, j’ai demandé à ma mère d’où venaient les bébés. Elle a cru que je disais “les bérets”. Et elle m’a répondu : “Du Pays basque.” Une semaine plus tard, une dame du quartier a donné naissance à des triplés. J’ai cru qu’elle s’était offert un long voyage à Biarritz. »
La présence de D.ieu
« Nous n’avons qu’un seul D.ieu et nous n’y croyons pas. » Woody Allen est pleinement en accord avec ce credo du judaïsme. « Je prenais du thé et des biscuits avec mon oncle.
Subitement, il me posa cette question : “Crois-tu en D.ieu. Et, si oui, combien crois-tu qu’il pèse ?” “Je ne crois pas en D.ieu, lui dis-je. Car, si D.ieu existe, pourquoi ce monde connaît-il tant de misère et de calvitie ?” […] ». En tout cas, « si D.ieu existe, j’espère qu’il a une bonne excuse. » Mais « D.ieu reste muet, constate Woody Allen, si seulement nous pouvions convaincre l’homme d’en faire autant ! »
La nécessité de vivre
La vie mérite-t-elle d’être vécue ? Toute l’œuvre de Woody Allen peut être considérée comme la recherche d’une réponse à cette question. « Un monument de souffrance, de misère et de solitude, et qui passe trop vite : grosso modo, c’est comme ça que je vois la vie », confie-t-il dans “Annie Hall”. Pourtant, à l’inverse du philosophe Arthur Schopenhauer, il n’est pas totalement désespéré. « Bon, certaines choses font qu’elles méritent tout de même d’être vécues : je commencerai par Groucho Marx », tempère-t-il, avant d’admettre avec sagesse : « Peut-être qu’au bout du compte, ce qu’il faut, c’est ne pas attendre trop de la vie. »
hommes et femmes, l’incompréhension
Lucide, il constate – après Freud – que l’amour porte d’emblée en lui une contradiction qui rend compte de l’impossibilité d’être heureux à deux : « Lorsque nous tombons amoureux, nous cherchons à retrouver nos parents à travers l’être aimé. Mais en même temps, nous lui demandons justement de réparer les torts que ces mêmes parents nous ont causés. » En outre, « le sexe et l’amour sont complètement opposés. Le sexe allège les tensions, tandis que l’amour les provoque ». Comment s’étonner alors du nombre de séparations mises en scène dans ses films ?
Une autre masculinité
L'ironie veut que Woody Allen ait décrit ce même processus dans un de ses premiers scénarios, Tombe les filles et tais-toi (Play it Again, Sam).
Il y joue un homme d'une vingtaine d'années dingue du film Casablanca qui se retrouve un peu perdu après avoir été quitté par sa femme. Il va donc chercher conseil auprès d'un Humphrey Bogart imaginaire. Le film s'amuse alors du fossé existant entre les héros romantiques de l'Hollywood d'antan et l'homme des années 1970. Entérinant au passage que les protagonistes qui portaient nos aspirations au cinéma n'étaient plus tout à fait les mêmes.
Discours/expérience
Surtout, ces quelques traits si chers aux personnages de Woody Allen restent encore aujourd'hui à mes yeux des valeurs essentielles. Il y a notamment chez eux une manière de ne pas se prendre au sérieux que je trouve particulièrement inspirante. C'est la victoire d'un esprit égocentrique plein d'autodérision et de sarcasme, bien conscient des limites du pouvoir de la raison. Il faut rire et rire de soi d'abord.
Confronter nos approches existentielles
Woody Allen rend le goût de l'esprit accessible car il est un intellectuel sans l'être. Il présente toujours des personnalités complexes qui ne se laissent pas réduire à un seul trait.
Ses personnages aiment autant les discussions philosophiques, les livres que le sport, l'architecture ou le sexe (pratiqué seul ou à deux), ajoutant encore par cette épaisseur à l'effet de miroir tendu vers le spectateur.
À ce titre, il est intéressant de noter que Woody Allen est probablement celui qui a dressé parmi les portraits de femmes les plus complexes de tout le cinéma contemporain que ce soit dans des films comme Une autre femme, Alice ou Blue Jasmine. Le jeu de projection/identification va donc bien au-delà du personnage icônique que lui-même incarne à l'écran.
Dans la combinaison même de plusieurs personnages d'un même film, Woody Allen oppose souvent différentes façon d'appréhender le monde. Ils incarnent différentes réponses aux problèmes posés de sorte que l'œuvre n'impose pas un message unilatéral. Un sens universellement admis. C'est à chacun de chercher en lui comment il se positionnerait. Un bon exemple se trouve dans Minuit à Paris. Owen Wilson et Marion Cotillard ont chacun la possibilité de se retrouver projetés dans une époque du passé qu'ils idéalisent. Doivent-ils vivre dans le fantasme ou revenir à la réalité? Le film offre deux réponses.
Même dans le dialogue qui existe entre tous les films de Woody Allen, il y a des jeux de décalage. Si Crime et délits ou Match Point, par exemple, explorent en profondeur l'impunité du mal, ça ne veut pas dire que tous les criminels sont destinés à s'en sortir. Meurtre Mystérieux à Manhattan, Scoop, Le Rêve de Cassandre ou Blue Jasmine dépeignent, en effet, une toute autre facette. Cette même histoire mais gangrénée par l'échec, la malchance, la folie et la culpabilité.
Pourquoi la vie vaut d'être vécue
«Whatever works», peu importe tant que ça marche, nous dit l'œuvre de Woody Allen, qui invite chacun à explorer sa propre voie vers le bonheur. Puisque nous n'avons qu'une faible maîtrise sur le monde qui nous entoure, puisque nous sommes de toute façon promis à un destin tragique de part notre propre mortalité, puisque nous sommes encombrés de névroses, il devient essentiel de profiter de chaque chose, de chaque illusion qui nous offre un peu de répit.
Dans Manhattan, Woody Allen adresse directement la question à travers son personnage d'écrivain Ike, qui, au bout des épreuves traversées dans le film, dresse une liste très concrète des choses qui font que la vie vaut d'être vécue. On notera que les réponses dessinent une véritable approche esthétique et sensorielle du bonheur qui mêle à la fois l'art et la vie. Et dont, bien sûr, pour une partie des spectateurs, les films de Woody Allen pourraient faire partie.
«Raconte des blagues plus drôles»
Ce qui frappe là encore, c'est la modestie de l'approche. Moins qu'un état permanent et illusoire, le bonheur, comme le sens de la vie, sont présentés à la manière de petites choses qu'il faut aller glaner tout autour de soi. Et si le cinéma de Woody Allen nous rendait meilleur en nous faisant prendre conscience qu'il réside dans ces instantanés inscrits dans notre éternité à la manière du montage des souvenirs du final de Annie Hall?
Une autre célèbre scène sur le sens à donner à la vie se trouve à la fin de Stardust Memories, tourné juste après Manhattan. Woody Allen y est Sandy Bates, un réalisateur qui, après avoir tourné de nombreuses comédies très populaires, s'est tourné vers le drame pour mieux réfléter l'état tourmenté des existences. Quand il rencontre des extraterrestres dans l'épilogue et qu'il leur demande ce qu'il devrait faire pour aider le monde, la réponse est évidemment pleine d'ironie: «Raconte des blagues plus drôles».
«On va au cinéma et en sortant on croit au monde»
Le bonheur serait-il donc dans la fuite et l'illusion, le souvenir, le fantasme? Stanley Cavell, philosophe américain qui a beaucoup écrit sur le 7e art, et notamment Le cinéma nous rend-il meilleurs? Insistait sur la manière dont les films n'étaient pas une expérience séparés de la vie.
«C'est se faire une bien piètre idée du fantasme que de se figurer que c'est un monde coupé de la réalité, un monde qui exhibe clairement son irréalité. Le fantasme est précisément ce avec quoi la réalité peut se confondre. C'est par le fantasme qu'est posée notre conviction de la valeur de la réalité. Renoncer à nos fantasmes serait renoncer à notre contact avec le monde», écrit-il notamment dans La Projection du monde.
Dans la liste de notre personnage de Manhattan, l'art joue ce même rôle de contact avec la vie comme suite d'expériences esthétiques. Pas étonnant que lors de mon premier voyage à New York, il m'ait fallu retrouver le banc sur lequel s'assoient Diane Keaton et Woody Allen dans le film, comme une manière d'expliciter physiquement ce lien. De connecter un peu de la magie du cinéma au cœur du réel.
Le cinéaste français Arnaud Desplechin, dans une discussion avec Stanley Cavell pour la revue Esprit en 2008, allait encore plus loin en proclamant:
«On va au cinéma et en sortant on croit au monde. C'est la promesse contenue dans la projection cinématographique.»
Si les longs métrages de Woody Allen font bien peu de cas du réalisme, leur préférant la fiction, l'imagination et la magie, il se font un plaisir à donner corps, par le biais de fables morales, à toutes les interrogations que l'on peut se poser sur notre conditon humaine. Après tout, un de ses premiers films s'appelle bien: Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe (sans oser le demander). Son cinéma porte la promesse d'une exploration complète et morale de notre psyché. Pour mieux nous aider à accepter nos propres failles. D'où aussi son rapport étroit aux rêves et à la psychanalyse.
Si les derniers films de Woody Allen ont parfois été critiqués pour leur prétendue misanthropie, le Woody Allenisme est pourtant bien un humanisme. Ses films ne visent pas seulement à dresser un état critique cruel de nos névroses contemporaines. Il a bien le programme de nous rendre meilleurs en nous encouragent à questionner nos attentes, nos points de vue. Et, surtout, à les revoir à la baisse. Le renoncement est l'expérience centrale du héros allénien.
Heureusement, l’humour lui permet de les tenir à distance. D’ailleurs, s’il se dégage de l’œuvre de Woody Allen une leçon de vie, c’est bien celle-ci : « Aie de l’humour, et tu survivras ! »
SOURCES m.slate.fr Adapté par Nathalie ZADOK
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