Au regard des tensions sociales qui agitent la France et du climat sociétal qu'elle traverse, il me semblait opportun de rendre hommage à une exceptionnelle femme d'action qui a laissé au travers de ses visions et de ses mots, des expressions, des toiles et des textes qui aujourd'hui prennent le pas sur la réalité de notre quotidien. Myriam Ben, parle avec le talent du conteur et la précision de l'historien, son oeuvre et ses luttes nous éclairent sur certains mécanismes et évolutions géopolitiques dans notre société.
La raison pour laquelle je parle d' ELLE au présent, c'est parce que certains combats, hélas, malgré le temps qui passe, ne s'arrêtent jamais...
Myriam BEN (1928-2001)
Hommage à la femme de lettres, sous la plume d'Alexandre Blondin
"Elle est à elle seule une authentique page d'histoire de son pays.
"C'est parce qu'elle est témoin de la vérité de la véritable histoire de l'Algérie,
qu'elle tourmente et dérange l'opinion publique."
"Lorsque le réel devient irréel au regard des hommes."
Ben Haïm Marlyse (plus connue sous son pseudonyme littéraire Myriam Ben) est née le 10 octobre 1928 à Bab El Oued (« porte de la Rivière » en berbère) commune de la wilaya d'Alger et quartier populaire de la ville historique d'Alger situé sur la façade maritime nord de la ville.
Descendante par son père de la tribu des Ben Mochi, berbères judaïsés qui furent les premiers à quitter Constantine quand la ville fut prise par les Français en 1837 et trouvèrent refuge dans les montagnes des Aurès pour y fonder la ville d'Aïn Beida.
Sa mère Sultana Stora est issue d'une famille aisée judéo-arabe d’Andalousie, dont les ancêtres musiciens megorachim (juifs originaires de la péninsule ibérique) avaient été chassés du royaume de Castille par Isabelle dite la catholique et avaient évidemment apportés la musique andalouse à la capitale algérienne.Le plus célèbre d'entre eux serait Moshe ben Maîmon plus connu en français sous le nom de Moîse Maîmonide, rabin séfarade du XIIe siècle, surnommé "L'aigle de le Synagogue", il est considéré comme l'unes des plus éminentes autorités rabbiniques du Moyen-Âge à avoir influencé les mondes arabo-musulman et chrétien.
Ce serait l’administration coloniale qui aurait francisé le prénom initial de Meriem (repris plus tard en Myriam ) en Marlylise à sa naissance, une pratique déjà fréquente de déconfessionnaliser les prénoms.
Son père qui avait servi dans l'armée française en Russie, inculquera à sa fille les valeurs culturelles françaises et si la langue de Molière reste sa langue maternelle, Myriam Ben sera arabophone. Elle ne se rendra compte de sa judaïté qu'à l'âge de 7 ans lorsqu'elle sera discriminée et traitée de "sale juive" à l'école. Elle prend conscience d'avoir perdu son innocence à ce moment-là !
Au début de la Seconde Guerre mondiale, elle sera chassée de son collège par le "numerus clausus", appliqué aux juifs par le gouvernement de Vichy puis adhérera aux Jeunesses communistes clandestines dont elle deviendra, à 14 ans, présidente du mouvement !
Elle réintégrera le Lycée après le débarquement américain en 1942 à Alger et suivra une formation d'institutrice en parallèle avec des études de philosophie à l'université d'Alger.
Son combat pour les droits des indigènes commence ici et alors que ses proches et amis masculins sont enrôlés dans l'armée française, elle choisit avec courage, malgré les menaces qui plane sur sa vie de rester en Algérie et de lutter avec le peuple algérien contre l'oppression.
Engagée au sein du Mouvement des femmes algériennes, Myriam Ben devient enseignante et instruit les élèves musulmans qui dans leur communauté, ne fréquentaient généralement pas l'école par faute de moyen. Elle va ainsi les aider les plus pauvres à s'acheter vêtements et chaussures pour pouvoir se rendre en cours et les encourager à comprendre leur propre histoire, en contradiction à la version que leur a imposée le régime colonial.
Pendant la Guerre d'Algérie, elle collabore au quotidien indépendant "Alger Républicain" dans lequel a débuté un certain Albert Camus, puis devient agent de liaison dans le maquis d'Ouarsenis dit le "Maquis Rouge" (massif des montagnes du Nord-Ouest d'Algérie). Anti-colonialiste et membre actif du FLN (Front de Libération Nationale), elle est alors activement recherchée par la police et entre dans la clandestinité.
En 1958, Myriam BEN est condamnée par contumace à vingt ans de travaux forcés par le tribunal militaire français d'Alger, Sa famille harcelée et menacée doit quitter l'Algérie pour se réfugier à Marseille.
Dès la fin de la guerre en 1962, elle est nommée maîtresse d'application par le nouveau gouvernement, puis conseillère pédagogique à l'École Normale. En 1964, suite à des problèmes de santé, elle part se faire soigner en France.
Sur décision du nouveau président Houari Boumédiène qui prend le pouvoir en 1965, les communistes algériens exilés à l'étranger ne peuvent revenir en Algérie.
De cet exil forcé, Myriam Ben va en faire une force et reprendre des études à l'Université de la Sorbonne, où elle apprend le russe, et obtient un doctorat en histoire de l'art.
L'art, un domaine qui fait partie intégrante de sa vie et de son parcours.
Parmi la palette de ses nombreuses couleurs artistiques, la peinture a été avec l'écriture, une expression libératrice par excellence, Pastels, huiles sur toiles et encres de Chine, Myriam Ben a réalisé des oeuvres très réalistes.
Par une vision peu commune, elle a su transcender les origines de son passé pour rejoindre l'universel et pour parler de lendemains plus humains et éclairés.
Après l'indépendance, elle sera parmi les rares juifs algériens à obtenir la citoyenneté algérienne.
En 1974, elle retourne s'installer en Algérie. Pendant 15 ans, elle occupe la fonction de chef du département des Langues et Sciences Humaines à l'Institut National des Hydrocarbures (INH) à Boumerdès, ville universitaire à 50 km d'Alger.
Mais en 1991, éclate la guerre civile algérienne et Myriam Ben fait le choix de revenir en France. C'est à cette époque que je l'ai rencontré par l'intermédiaire d'amis communs en Provence dans le Lubéron où elle avait une petite maison de vacances, près de Lacoste et du légendaire château du marquis de Sade, lieu d'inspiration littéraire !
Nous y croisions parfois au détour d'un sentier ombragé d'oliviers et parfumé de lavande, quelques illustres personnalités parisiennes, des écrivains et des historiens de renom, Jean- Paul Clébert, Jean Lacouture et sa femme Simonne (avec 2 n s'amusait-il à dire), M et Mme François Nourrissier en promenade avec leur chienne Mazurka.
Je m'en souviens comme si c'était hier, j'étais fier et heureux d'échanger quelques bribes avec ces maîtres de la maîtrise des mots. Mais le temps nous rattrape...
Réfugiée en France comme de nombreux intellectuels algériens au cours de la "décennie noire", nos affinités électives sur les valeurs humaines et notre passion commune pour les arts et la littérature, nous ont rapidement rapprochés et confortés dans notre pensée à suivre notre destin sur le chemin de nos pas (titre de son recueil de nouvelles).
Pendant plusieurs mois à ses côtés j'ai appris à observer, analyser, étudier cette personnalité complexe et si particulière qui conjuguait ses regrets, sa vie et ses projets au passé, au présent et au futur. Comme sur un échiquier, elle plaçait ici et là de douloureux souvenirs qui s'éparpillaient et éclaboussaient les nuits de son existence.
Militante progressive, au coeur des terribles événements et des drames qu'elle avait vécue, elle portait en elle le combat solitaire et singulier de ses blessures plurielles. Elle me racontait sa vie, ses rencontres, son amitié avec Simone de Beauvoir qui souhaitait faire publier ses poèmes et ses romans chez Gallimard, mais elle avait déjà choisi les Éditions L'Harmattan, écritures arabes.
De sa complicité intellectuelle avec Jean-Paul Sartre auprès duquel elle trouvait le réconfort et le soutien de ce dernier à leur désir commun de l'indépendance du peuple algérien.
Son incroyable parcours, son engagement de chaque jour et sa conviction absolue de poursuivre ce difficile combat pour la liberté de son peuple à l'infini, me fascinaient.
a consacrée toute sa vie à défendre "les effacés des droits de l'homme".
Écrivain, peintre, poéte, et musicienne, c'est à travers les mots, les couleurs et la musicalité que son éclectisme artistique est devenu son plus fidèle allié mais aussi un messager de l'espoir. Elle a publié notamment en 1982 "Ainsi naquit un homme", un recueil de nouvelles , en 1984 "Sur les chemins de nos pas", un recueil de poèmes et en 1986 "Sabrina, il t'ont volé ta vie", roman qui évoquait l'absence d'amour et la privation de liberté des femmes algériennes.
Myriam BEN s'est éteinte en 2001, à l'âge de 73 ans.
De nos échanges, j'ai beaucoup appris et posé depuis, un regard différent sur le monde et les gens. J'ai à mon tour écrit pour essayer de "faire taire le silence et fuir l'intolérance, calmer la souffrance et tuer l'indifférence."
De ces quelques lignes, j'ai voulu poser sur papier, la délicate interrogation sur la destinée qui conduit le choix des peuples et le sort des hommes !
Un hommage, un recueil de souvenirs mais aussi un devoir de mémoire que je souhaitais vous faire partager.
Parcours pictural
"Les tableaux de Myriam Ben sont une réflexion mystique sur les souffrances humaines,
Sa potière aveugle prêche q'il ne suffit pas de voir le monde, il faut savoir le transformer."
Formation
Entre 1963 et 1967 : séjours d'études de l'art primitif italien à Florence et à Sienne.
1966 : séjours d'études à Léningrad (URSS), musée de l'Hermitage
1967: séjours d'études de l'art byzantin dans différentes villes yougoslaves
Expositions
Myriam Ben a participé à de nombreuses expositions personnelles et collectives à Paris, notamment au Centre culturel algérien, à Beaubourg Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, au Salon d'automne à Neuilly-sur-Marne...
En Algérie, 9 toiles de Myriam Ben, ont été acquises par le musée national des Beaux-Arts d'Alger. En 1987, elle expose pendant 2 mois au Palais de la Culture d'Alger en parallèle avec l'exposition "Picasso à Alger"
D'autres prestigieuses expositions personnelles en Allemagne lors de la "Semaine culturelle algérienne" en Hongrie, en Pologne et à Madagascar.
Invitée par les écrivains et peintres chinois à Pékin, et lors des voyages officiels du Président de la République algérienne à New York (EU) et Caracas (Vénézuela).
Alexandre BLONDIN
Magnifique ! Comme à son habitude, Alexandre BLONDIN excelle dans ses descriptions précises et détaillées. Extraordinaire portrait de cette femme que je ne connaissais pas et que je viens de découvrir grâce à ce journaliste et à ALLIANCE Magazine. Pour la petite l’anecdote je suis native d’Alger, donc je me suis sentie d’autant plus concernée par ce palpitant portrait de femme. En tout cas bravo !
Magnifique portrait du journaliste Alexandre BLONDIN, qui comme à son habitude sait décrire avec précisions et analyse le parcours des femmes qu’il raconte de son écriture passionnante et passionnée.
Pour la petite anecdote, je suis native d’Alger « la blanche », je me sens d’autant plus concernée par le combat et le sort des femmes algériennes. En tout cas bravo et merci
ALLIANCE Magazine pour ce fascinant hommage.
Merci pour ce magnifique article, rédigé d’une main de maître comme d’habitude par Alexandre Blondin. Un vrai génie du journalisme, une plume et un phrasé qui donne plaisir à lire.
Je ne connaissais pas cette personne, merci Alexandre pour cette découverte d’histoire.
Bonjour Alexandre, je viens de lire ton article et c’est très intéressant et très pure dans ton article.