
Une parole libératrice pour Pessa’h, par le rabbin Tamir Granot
“La véritable liberté est la libération de l’asservissement mental au camp politique.”
À l’approche de Pessa’h, le rabbin Tamir Granot signe une tribune audacieuse, percutante, profondément enracinée dans les sources juives, qui invite à une réflexion sans compromis sur la liberté. Il y dénonce l’idolâtrie des affiliations politiques – qu’elles soient en faveur ou contre Benjamin Netanyahou – et appelle à une émancipation intérieure.
“Le ‘bibisme’ est une forme d’idolâtrie, car il signifie une soumission à une personne ou à une force qui empêche toute pensée libre et critique.”
Mais le rabbin va plus loin :
“Le camp du ‘tout sauf Bibi’ participe lui aussi à cette idolâtrie. Il est esclave de sa haine, convaincu que tout ce que fait Netanyahou est mauvais, intéressé, corrompu et immoral. Il croit qu’en écartant Bibi, la rédemption viendra.”
Une lecture non politique pour une fête spirituelle
“Cet article n’est pas politique. Il vise au contraire à libérer de la pensée politique.”
Le rabbin Tamir Granot clarifie son intention : il ne s’adresse pas aux passionnés de politique partisane, mais à ceux qui veulent vivre Pessa’h comme un moment de libération authentique. Il propose un itinéraire de pensée, un exode intérieur.
“Ceux qui sont asservis à la politique n’y trouveront pas leur compte. Mais ceux prêts à me suivre ont une chance d’entrer dans la fête de la liberté avec un peu plus de liberté, de paix intérieure, et peut-être même de vérité.”
La Pâque, le moment sacré de la liberté juive
“La Pâque est appelée par nos sages ‘le temps de notre liberté’ et, aujourd’hui encore, ‘la fête de la liberté’.”
Cette fête, rappelle le rabbin, célèbre la première libération du peuple d’Israël : la sortie d’Égypte. Et ce n’est pas un hasard si, sur le mont Sinaï, les premiers mots par lesquels Dieu se présente ne sont pas “Je suis le Créateur”, ni “le Tout-Puissant”, mais bien :
“Je suis l’Éternel ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison des esclaves.”
signifiant : ma carte d’identité, dit Dieu, n’est pas d’être créateur, sage, commandant ou infini, mais l’acte moral de libération des esclaves, c’est-à-dire l’octroi de la liberté. La liberté est donc le commencement de la Torah d’Israël et, à bien des égards, aussi son but.
La liberté juive face à la liberté libérale
Mais de quelle liberté parle-t-on ici ? Pas de celle que revendiquent les sociétés modernes.
“La liberté dans sa conception juive n’est pas identique à celle, répandue aujourd’hui dans le monde libéral, qui voit en la liberté une condition existentielle dans laquelle l’homme choisit volontairement et librement – sans aucune contrainte – ce qu’il veut être, comment il veut vivre et ce qu’il veut faire.”
Le rabbin résume cette vision moderne de manière lapidaire :
“En bref : je suis libre lorsque je choisis uniquement ce que je veux.”
Dans cette vision libérale, l’idéal est de maximiser les possibilités de choix, et l’objectif de l’État est de protéger cette liberté individuelle.
“Le discours libéral nous dit : je peux choisir de ne pas être membre de mon peuple, ni de mon sexe, ni même de moi-même – tant que c’est moi qui choisis, c’est cela qui compte.”
Mais dans le judaïsme, cette conception est insuffisante.
“Nous sommes sortis d’Égypte pour avoir la liberté de choisir, certes – mais la liberté juive considère ce pouvoir de choix comme un point de départ, essentiel et vital, mais en aucun cas comme une finalité.”
Nous sommes sortis d’Égypte pour avoir la liberté de choisir.
Mais la liberté juive considère la liberté de choisir comme un point de départ, certes nécessaire et vital, mais en aucun cas comme un point final.
Le voyage de la liberté est un voyage de choix libre, qui a des limites, un contexte et un but.
Les limites sont celles de la réalité, du passé d’où je viens, de la morale et de la capacité. Le contexte est l’essence à laquelle je suis lié.
Le philosophe français Sartre a formulé la conception de la liberté libérale en déclarant : “L’existence précède l’essence”.
De manière plus radicale : il n’y a pas d’essence – seulement ce que l’homme choisit. La liberté juive respecte l’essence : la création que Dieu a créée, l’essence à laquelle j’appartiens en tant que Juif, en tant qu’être humain. Et le but – construire, à partir de la liberté, une vie originale, unique et significative, où la liberté se transforme en responsabilité.
L’éternité d’Israël et le peuple d’Israël
S’asseoir en famille et raconter la sortie d’Égypte lors du Seder, c’est ancrer notre existence dans l’essence, dans l’éternité d’Israël. J’ai souvent entendu de bons Israéliens dire : “Le judaïsme, c’est ce que je choisis en tant que Juif”, “Personne ne peut me dire ce qu’est le judaïsme !”
Certes, personne ne peut te dire comment vivre en tant que Juif, mais le judaïsme a une essence (certes large et flexible) qui existera même si personne ne t’en parle, même si tu l’ignores. “L’éternité d’Israël” est le peuple d’Israël méta-historique : depuis les patriarches, en passant par la sortie d’Égypte et la Torah du Sinaï, la Terre d’Israël et les prophètes, les sages et l’exil, les croyances et les opinions, la morale et notre littérature – jusqu’à nous.
Il est clair que nous tous ensemble et chaque individu choisit en toute liberté son canal de connexion à “l’éternité d’Israël” et y apporte son monde personnel et culturel, et ainsi il a le privilège d’écrire sa page unique dans le livre de la Torah de “l’éternité d’Israël”, mais aucun d’entre nous n’a commencé à écrire ce livre, et personne ne l’écrit en entier. Pour que la page originale et unique que nous écrivons ne soit pas insignifiante et déconnectée mais significative, il est important que nous connaissions bien les pages précédentes.
Liberté, idolâtrie et bibisme
Le premier commandement est celui de la foi et de la liberté : “Je suis l’Éternel – qui t’ai fait sortir de la maison des esclaves”. Le second commandement interdit l’idolâtrie : “Tu n’auras pas d’autres dieux… Tu ne te feras pas de statue”. L’idolâtrie et la liberté sont deux opposés.
Mon beau-père, l’écrivain David Ben Yosef, disait que l’idolâtrie consiste à donner une valeur exagérée à un pouvoir limité.
Lorsque nous attribuons une valeur excessive, une autorité excessive ou un statut excessif à une personne ou à une institution, nous devenons esclaves, mentalement et pratiquement.
Par conséquent, le « bibiisme » est comme de l’idolâtrie, peu importe ce que vous pensez de Bibi en tant que Premier ministre, car c’est un esclavage de l’homme, du pouvoir, et il ne permet pas la pensée libre et critique.
Le bibiiste adopte automatiquement la position de Bibi et du gouvernement sur chaque question, et par conséquent il n’est pas libre. Mais l'opposition les anti-bibi est également partenaire de cette œuvre maléfique, car elle aussi est esclave de sa haine et de l’idée que tout ce que fait Bibi ou son camp est mauvais.
Trois conseils sur le chemin vers une nouvelle liberté
A. Se libérer de l’aliénation politique
“La pensée politique est asservissante pour deux raisons.”
La première, explique le rabbin, est que nous rejetons la faute sur la politique comme si elle était un monde étranger, malhonnête, inapte à la réparation. En agissant ainsi, nous renonçons à notre propre responsabilité morale et à notre potentiel d’action.
La seconde raison est plus insidieuse : la politique identitaire nous prive de notre liberté de pensée. Elle nous enferme dans des réflexes conditionnés, selon une logique binaire où chaque position en entraîne mécaniquement une autre.
“Si je suis contre Bibi, alors je soutiens automatiquement Ronen Bar (malgré le 7 octobre), je tiens Bibi pour responsable, je soutiens l’accord même au prix de la fin de la guerre, je m’oppose à la fin de l’aide humanitaire, j’approuve toutes les décisions du système judiciaire, et je pense qu’il n’y a jamais eu de meilleur conseiller juridique que Gali. Tiens bon, Gali !”
Et à l’inverse :
“Si je suis de droite, alors Bibi n’est responsable de rien, sauf des succès ; Ronen Bar est un complice de Sinwar (et à tout le moins coupable de la guerre) ; Gali a été renvoyée hier !
Le système judiciaire est responsable de tous les maux ; la lutte pour la libération des otages est un complot gauchiste visant à renverser le gouvernement ; et la conscription des haredim n’est pas une exigence morale, mais une campagne de Lieberman contre la Torah et de Lapid contre Bibi.”
Ce type de pensée automatique et clivante ne se contente pas de diviser la société : il étouffe l’intelligence, appauvrit l’esprit, détruit la vérité. Le rabbin va plus loin encore :
“C’est une forme d’esclavage intellectuel, et donc très probablement une pensée fausse – car si vous n’êtes pas capable de penser librement et de manière critique, et si vous ne pouvez pas formuler une opinion vraie et indépendante sur des sujets distincts, qui n’ont pas forcément de lien entre eux (à part votre identité ou le bibisme) – alors vous êtes très éloigné de la vérité.”
Il invite chacun à un exercice exigeant de lucidité :
“Réfléchissez de manière claire, soyez pragmatique, écoutez l’opinion des autres jusqu’au bout, admettez que vous aussi pouvez vous tromper. Informez-vous via plusieurs sources. Suivez la vérité à laquelle vous croyez – quel que soit l’avis de votre camp ou de votre journal.”
Et de conclure, avec une injonction à la noblesse intérieure :
“Pensez avec éthique, soyez intègre, soyez authentique !”
B. Se libérer de la peur
Le deuxième conseil du rabbin est un appel au courage.
“Nous avons si peur d’être dupés, que le gouvernement tombe, qu’on nous manipule, qu’on nous utilise, que nous perdions le pouvoir…”
Mais la peur est un poison de l’âme : elle paralyse, elle détruit la clarté, elle empêche les choix libres.
“La liberté peut être prudente, mais elle n’est jamais lâche. Pour choisir, pour chercher la vérité, il faut du courage.”
Un courage qui s’exprime dans plusieurs domaines :
“Le courage de ne pas craindre les autres, de ne pas avoir peur de leurs opinions, le courage de faire confiance, de dire ce que l’on pense, même si cela déplaît à un proche ou à son propre camp.”
Et surtout, le rabbin souligne un paradoxe essentiel :
“La peur de perdre sa liberté est en soi un immense danger.”
Par peur de s’engager, de s’attacher, de choisir, des gens fuient la vie même qu’ils désirent. Ils ne décident pas, ne se marient pas, ne s’engagent à rien – par crainte de restreindre leur liberté.
Mais la liberté, affirme-t-il, n’a de sens que si elle permet de choisir – c’est-à-dire de restreindre volontairement ses options pour donner un sens à sa vie.
“N’ayez pas peur de vous engager, de choisir un chemin, de choisir une personne.”
C. Se libérer de soi-même
Enfin, le troisième conseil est le plus intime, le plus radical : il s’agit de se libérer de soi-même.
“Lorsque Dieu a ordonné à Abraham : ‘Va pour toi’, Il ne lui a pas seulement demandé de quitter la foi de la maison paternelle ou la terre de sa naissance – mais aussi son propre chemin personnel.”
L’appel divin est un appel à un renouveau total, une capacité à ne pas être esclave de son passé, de son idéologie ou même de son identité.
“La racine de la liberté juive, c’est la capacité d’être libre comme notre père Abraham – c’est-à-dire de ne pas être esclave de soi-même.”
Le rabbin conclut sur cette idée puissante : ce que nous appelons “moi” est souvent une construction rigide qui nous empêche de devenir ce que nous sommes vraiment.
“Il n’y a rien de plus aliénant que la perception que nous avons de nous-mêmes. Se libérer de cela, c’est se donner la chance d’être vraiment ‘nous-mêmes’, de découvrir ce que nous croyons, et ce que nous voulons véritablement être.”
Joyeuse fête de Pessah
Dans un écho subtil entre Pessa’h et Yom Ha’atsmaout, le rabbin Tamir Granot nous rappelle que la liberté est une reconquête permanente, et qu’elle commence par oser penser, ressentir et agir librement, sans crainte, sans masque, sans mot d’ordre.
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