Le fusil dans une main, le Coran dans l'autre

International - le - par .
Transférer à un amiImprimerCommenterAgrandir le texteRéduire le texte
FacebookTwitterGoogle+LinkedInPinterest

                                 Le fusil dans une main, le Coran dans l'autre
    
Article paru dans"Le Temps",le 10/02/08
    
L'histoire d'une manipulation, de Bhutto à Musharraf, en passant par un juif converti.

Le Pakistan, c'est l'histoire d'une manipulation religieuse. L'Etat sexagénaire, encore si fragile, est né pour l'islam: les musulmans voulaient leur morceau d'Inde. Et aujourd'hui, à voir tous ces barbus qui brandissent le Coran dans une main et le fusil dans l'autre, l'Occident est prêt à croire que le Pays des Purs va basculer dans une théocratie violente, avec la bombe en prime. Pourtant, au Pakistan, les partis islamistes, morcelés en petites factions, sont extraordinairement faibles: 10% de l'électorat, ou à peine plus. Dans les services secrets, qu'on dit noyautés, la proportion doit être à peu près la même.

Cette distorsion dans la perception du Pakistan a une raison: les politiques, élus ou dictateurs, ont constamment utilisé l'islam pour conquérir et conserver le pouvoir, ou comme instrument de politique étrangère. Prenez Pervez Musharraf, bon musulman sans doute, mais modérément, et qui va finir sa carrière, sous pression américaine, dans l'antiterrorisme. Quand il n'était que général, il a bien sûr été un rouage essentiel dans l'embrigadement de la jeunesse pakistanaise, par madrasas interposées, pour donner au pays, en Afghanistan, une «profondeur stratégique» - selon la terminologie consacrée à Islamabad. Mais Musharraf a fait mieux. Au printemps de 1999, peu avant son coup d'Etat, il fut l'âme de ce qu'on appelle la guerre de Kargil: l'utilisation massive de militants extrémistes armés, infiltrés au Cachemire, pour une opération de déstabilisation qui a failli très mal tourner.

Voyez aussi Zulfikar Ali Bhutto, le père de Benazir, que sa pendaison en 1979 a transformé en martyr du progressisme tiers-mondiste. Cinq ans avant sa mort, quand il était premier ministre, Bhutto a introduit dans la constitution du pays un redoutable poison: sous la pression d'une minorité agitée, il a proclamé non musulmans, donc hors la loi, les membres de la petite secte des Ahmadiyya, parce qu'ils avaient le tort de tenir leur guide pour un prophète et de croire que Jésus avait visité le Cachemire. Peu importent ces fantaisies: l'intolérance religieuse, inscrite dans la charte fondamentale, a ouvert la porte aux massacres, inédits au Pakistan, entre chiites et sunnites. Pour faire bon poids, en 1977, Ali Bhutto a proclamé la charia loi de l'Etat. Zia-ul-Haq, après avoir fait pendre le premier ministre, n'eut plus qu'à islamiser le pays rétif sur cette solide base.

Benazir Bhutto elle-même a fermé les yeux sur le grand décervelage des madrasas. Comme les autres, elle a laissé utiliser le Coran comme un outil politique, par opportunisme. Muhammad Jinnah, le père fondateur, était plus prudent: il croyait qu'avec le temps les deux religions - islam et hindouisme - s'effaceraient du champ politique.

Le seul islamiste sincère du Pakistan, finalement, fut peut-être un juif. Muhammad Asad, mort il y a quinze ans, était né dans l'actuelle Ukraine sous le nom de Leopold Weiss. Fils d'un rabbin, petit-fils d'un banquier, il avait tâté de la psychanalyse et du journalisme avant de s'établir à Jérusalem. Là, le projet sioniste lui avait fait peur, en raison de l'effet qu'il aurait sur la société arabe où on le greffait. Sa vraie motivation était peut-être la haine du père, mais ça l'a conduit à la conversion en 1926, puis à Karachi et Lahore, où il est devenu l'ami et le disciple de Muhammad Iqbal, inspirateur du projet pakistanais.

Après avoir tâté des cachots britanniques pendant la guerre, il est entré dans la diplomatie du nouvel Etat, jusqu'à être son représentant auprès de l'ONU à New York. Auparavant, Weiss-Asad avait écrit un essai salafiste, L'islam à la croisée des chemins. Il recommandait aux musulmans de ne pas se mettre à la remorque de l'Occident, de faire un retour sur leurs propres valeurs, qu'il pensait mariables à la démocratie. L'essai eut un lecteur fervent: Sayyed Qutb, l'auteur de chevet, aujourd'hui, de tous les djihadistes. Muhammad Asad a fini sa vie déçu en Andalousie. Ses amis pakistanais ne lui avaient pas pardonné un divorce...

Vos réactions

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A voir aussi