
L’histoire peut paraître banale à première vue celle d’un couple, Moshe, la cinquantaine et Tami la vingtaine toute fraiche vivent ensemble.
Lui, n’hésite pas à la violer ou à la rouer de coup régulièrement, tandis qu’elle, reste plus ou moins consentante.
Cette relation montre Tami qui ne semble pas pouvoir se libérer. Elle lui prépare son petit déjeuner, son diner, lui coupe ses ongles, elle s’occupe de la maison de fond en comble,…
Tami et Moshe sont père et fille!
Après des passages réguliers sur la Croisette, la réalisatrice de Mon trésor, qui avait obtenu la Caméra d’Or en 2004, annonce son retour avec ce film ultra sulfureux.
Le troisième long métrage de Keren Yedaya, Loin de mon père est une adaptation très libre du roman de Shez; Loin de son absence.
Keren Yedaya : C'est une auteure israélienne que je connais depuis longtempsJ'aime bien son style. Il faut savoir qu'elle est davantage orientée vers la poésie et que Loin de son absence est son premier roman. Elle me l'a aussitôt envoyé et m'a demandé de l'adapter en film. Je l'ai lu très rapidement, et j'ai eu un véritable coup de cœur.
Le thème central demeure l'inceste, certes, mon film n'y est pas très fidèle. J'ai changé l'âge de la jeune fille – de la trentaine, j'ai opté pour la vingtaine - afin de lui laisser une lueur d'espoir, pour son avenir.
Par contre, j'ai retiré les personnages qui gravitaient autour de Tami pour accentuer son isolement.
Faire un film sur ce sujet –tabou- que ce soit en Israël ou même en France, il était nécessaire de l'adapter. Un vrai défi pour moi de devoir traiter un thème aussi fort, attachant et aussi radical.
Ça n'est pas si différent qu'en France; je crois que les chiffres sont à peu près les mêmes, à savoir une femme sur six se disent avoir été victimes un jour dans leur vie.
C'est un sujet totalement tabou qui l'est bon d'éclairer au maximum. Et le public a du mal à voir cette réalité».
Laurent Bartoleschi : Les critiques cannoises ont été dures avec votre film, racontez-nous.
Keren Yedaya : Je me souviens lors de la première projection à Cannes qu'un critique israélien avait été jusqu'à parler de provocation facile, gratuite et légère. Lorsqu'il avait revu le film, en Israël, il avait chamboulé tous ses articles».
L.B. : Pourquoi?
Keren Yedaya : Tout simplement parce que dans Loin de mon père, il n'y a pas de nudité et que le film traite de cette femme qui souffre durant son quotidien. Tel un documentaire, finalement. Chacune des scènes que j'ai filmées possèdent un sens et surtout une utilité. L'atmosphère du film est très pesante.
LB: comment était le climat durant le tournage avec les acteurs?
Keren Yedaya : D'autant plus, qu'il s'agissait du premier rôle de l'actrice Mayaan Turjeman. J'ai été totalement bluffée par son jeu et sa vérité. Avec Tzahi Grad (comédien célèbre en Israël), nous avons beaucoup travaillé ensemble en amont.
J'ai besoin de créer cette proximité avec mes acteurs, et à partir d'elle, je les connecte avec leurs personnages. Mais pour vous rassurer, durant le tournage, on alternait entre pleurs et fous rires.»
LB :La mélancolie au sein de vos films, vient-elle d'un certain désenchantement d' Israël?
Keren Yedaya : Malgré mon caractère optimiste, il m'arrive parfois de craquer. Face à cet état du monde aujourd'hui, ce n'est pas tant de la mélancolie que je ressens, mais une sorte de désespoir absolu, une sensation de débâcle. En Israël, j'ai le sentiment d'observer des mouvements contradictoires.
Tami semble physiquement enfermée, aussi bien dans cet appartement sombre, que dans ce corps qu’elle refuse d’accepter : elle est comme prisonnière. Du coup, pour se punir, n’hésitera-t-elle pas à exprimer sa souffrance à travers ses désordres alimentaires ou ses scarifications pourquoi tant de violences.
"Loin de mon père" demeure un film insoutenable, car l’inceste y est montré de manière frontale, rien n’y est suggéré, les scènes de violence sont d’une crudité extrême.
Keren Yedaya ne perd pas de temps ; son film donne le ton très réaliste, quasi-documentaire dès le début du film,
Keren Yedaya: C'est vrai que ce film se rapproche d'un bien plus d'un documentaire ce qui en fait supporter la violence.
Mon film permet,d’accompagner des personnages qui prennent conscience de leur condition d’esclave ».
Un grand bravo à l’actrice principale du film Maayan Turjeman qui joue ici son premier rôle!
Loin de mon père, un choc donc : Keren Yedaya conclue en disant que « si le monde du cinéma veut faire entendre la voix des femmes, il doit comprendre que nous faisons, nous réalisatrices, les films d’une manière différente ». Jamais film israélien n’a osé aller aussi loin. Retrouvez dès demain Loin de mon père sur les écrans français.
Laurent Bartoleschi
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