Textes à conquérir de Max Fullenbaum
Hiatus pour vivants en disparition.
On ne se remet jamais de l'histoire, surtout lorsque sous Hitler on avait un nom que l'auteur nomme "inflammable". Pour autant "Textes à conquérir" n'est pas d'un énième livre sur le Shoah. Mais sur ce qu'elle accorde aux survivants qui comme l'auteur y ont échappé de justesse. Et pour dire le désastre Fullenbaum, plutôt que d'étouffer la langue, la bourre de hiatus syntaxiques afin que les temps se mélangent. Il y a hier et aujourd'hui mais non à part : en crocs en jambes.
C'est à la fois ambitieux, angoissant, drôle, terrible. Parfois une seule phrase suffit pour tout comprendre : "Toujours un peu d'argent sur vous pour être prêts à partir". Car des années 40 à aujourd'hui rien ne change. Même dans le mot "ju-if" l'auteur distingue un hiatus, une coupure mais aussi un lien où le masculin et le féminin se mêlent.
Existe là quelque chose d'irréductible. Et ce pour une raison majeure et un défi : la littérature ici ne se recopie pas , elle s'invente et progresse. Elle indique un passage ou une traversée au moment où le texte semble appartenir non à un ordre de ce qui fut ou de ce qui est mais de ce qui reste en devenir dans les jeux de rapprochements et césures.
Il convient en conséquence de se laisser aspirer par la quadrature d'un livre réussi où l'auteur tente de refaire surface en ses lignes de forces. Le caractère mimétique de ce qui tient en partie d'une autofiction est renvoyé à de nouveaux abymes.
Un tel texte prouve par ses empreintes que la littérature comme l'existence ne doit pas se vivre dans la queue leu leu : car à suivre le monde tout se gâte.
Et Fullenbaum s'érige en maître de virilité là où la fiction devient métaphore quasiment plus physique que métaphysique. Il remonte et démonte la topographie de l'existence et du monde là où il fait basculer la mémoire par ce corps-écriture, mince filet qui - parfois - à travers ses interstices - fait dégorger des repères inattendus.
Surgit, des vocables les plus simples, une étrange intensité et un émoi donné par la cassure de construction. Fullenbaum crée une ouverture. Elle souligne le silence pour mieux dire et voir mieux la solitude, le cercle de la clôture. Nulle possibilité de négligence, rêverie, oubli ou accident de parcours.
A l'impossible tout le monde est tenu ou plutôt retenu en suspens dans l’espace et en un étrange cours afin de suggérer l’invisible et d’épouser le mouvement imperceptible de la catastrophe d'hier toujours prête à renaître de ses cendres.
C'est pourquoi l'auteur refuse toute "neutralité" à l'écriture sans être pour autant impudique : voici des traces dont on ignore sinon tout du moins beaucoup.
L’éloignement possède ses paliers, la proximité ses bornes. Demeure chemin effectué et celui qui reste à parcourir.
Max Fullenbaum, "Textes à conquérir", Les éditions du Littéraire, Paris, 2018, 13 E., non paginé.
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