Corse-Israël, même combat par Eden Levi-Campana
La résilience du peuple juif pourrait faire penser à ces bougies d’anniversaire sur lesquelles vous soufflez et qui ne s’éteignent jamais.
Jusqu’à un passé récent, on pronostiquait la communauté juive de Corse exsangue, assimilée, éteinte. La voilà qui repart de plus belle sous l’impulsion du rabbin Levi Pinson à Ajaccio et du rabbin Zalman Teboul et de son épouse Haya à Bastia, un des fiefs historiques de la culture corso-juive.
A l’initiative de ces derniers et du Beth Habbad de Bastia une conférence sur les juifs de Corse a eu lieu ce dimanche, quai des martyrs sur le vieux port.
Environ 70 personnes ont évoqué la présence des juifs dans l’histoire de Corse, leurs liens avec Israël et leurs projets pour l’avenir. Trois orateurs ont été conviés à prendre la parole à l’invitation du rabbin Zalman Teboul : Fréderic Joseph Bianchi (président de l’association Terra Eretz Corsica), Guy Sabbagh (historien spécialiste des recherches mémorielles, historiques et généalogiques sur la communauté juive de Corse) et Didier Meïr Long (essayiste, écrivain et théologien).
Passionné et passionnant les trois tribuns ont raconté pendant deux heures et demie, l’histoire des juifs corses, la grande histoire et leur histoire intime, celle de leurs familles.
Entretien avec Didier Meir Long
Quel sont les thèmes que vous avez abordé dans cette rencontre ?
Mon intervention revenait sur les traces des juifs en Corse dans les archives de Gênes à partir de l’Inquisition et jusqu’à Pascal Paoli, en me basant sur les Archives de Gênes. J’ai évoqué également les 120 familles qui sont arrivées de Catalogne pour fonder l’Ile Rousse à l’initiative de Pasquale Paoli.
Et l’avenir des juifs en Corse ?
Fréderic Joseph Bianchi, qui a fondé l’association Terra Eretz Corsica- Israël a repris mon propos en résonnances contemporaines. Le peuple Corse luttant pour sa langue, sa terre. Il a rappelé que de manière immémoriale la Corse qui n’a pas déporté les juifs en 1940 était une terre d’accueil pour les juifs et que celle-ci le redeviendrait peut-être avec la potentielle arrivée d’un parti fascisant en France.
Je posais la question de savoir pourquoi les juifs avait fait souche en Corse là où les Arméniens où les Serbes (5000 personnes) qui y avaient trouvé refuge en grand nombre en 1915 étaient tout simplement tous repartis.
Des évènements racontés du point de vue de Guy Sabbagh ?
Guy Sabbagh nous a raconté l’histoire de sa famille et des 740 juifs arrivés à Ajaccio en 1915, puis arrivés à Bastia rejoignant les juifs de Turquie arrivés à Bastia dans la seconde partie du 19eme siècle. Comment les instituteurs corses avaient pris sur leur paie pour donner à ces réfugiés miséreux en habits orientaux des costumes occidentaux, eux apprenant la langue corse et s’intégrant en un an comme commerçants ou tragulinu (marchand ambulant).
Leur histoire se conjugue aussi avec Israël ?
Le chef spirituel de la communauté des juifs de Corse, Jacob Meïr Tolédano est devenu le ministre des Affaires Religieuses de Ben Gourion en 1958 et comment beaucoup de ces réfugiés ont rebondi sur un Israël difficile à vivre pour faire leur Alyah… en Corse.
La Corse une terre d’asile pour les juifs ?
La Corse a été et sera toujours une terre d’accueil pour les juifs, comme elle a accueilli des multitudes d’humains pour leur simple qualité de sœurs et frères humains depuis l’Antiquité. Faisant d’eux des corses de destin.
Il est d’usage, pour s’en lamenter ou s’en réjouir, de raconter qu’il ne reste presque plus de juifs en Corse. C’était compter sans les facéties de l’âme corse et du Dieu des enfants d’Abraham. Car aujourd’hui, grâce au Beth Habbad à Ajaccio, Bastia et Porto Vecchio on assiste à une véritable renaissance spirituelle du judaïsme Corse. Ce nouvel élan conforte la synagogue consistoriale Beth Meïr dont je porte le nom en mémoire du rabbin Meïr Tolédano grand-père de Guy et Benny Sabbagh qui a repris vigueur.
Corse et Israël, même combat ?
Il y a en corse et en Israël une étonnante proximité de mémoire. Probablement une mémoire de survivants, de passagers clandestins de l’histoire. Une forme d’insularité culturelle qu’on ne retrouve pas en Sardaigne ou en Sicile. Israël comme la Corse ont été des lieux de passage des grands empires (Assyrie, Babylonie, Egypte/ Chrétienté-royaumes musulmans) qui ont forgé leur culture par assimilation d’éternels migrants.
Les deux pays ont une diaspora très semblable, « un corse ne quitte pas son ile, il s’absente », un juif dit chaque année à Pessah : « l’an prochain à Jérusalem ». La nostalgie de la terre promise et rêvée nous habite. Israël comme la Corse sont des mythes. Le juif errant ou la Corse à New York ou Marseille sont les mêmes.
Enfin il y a l’amour de la terre. Un corse ne vend pas sa terre. Notre terre, se sont nos pères. Elle est commune, à tous. Pour Israël la terre est promise et chérie mais elle est à Dieu. C’est plus un idéal moral qu’une frontière physique. Dieu retire la terre à Israël quand il se conduit mal.
Au-delà des similarité méditerranéenne (famille, croyances au mauvais œil, etc…) et de traditions tout à fait communes.
Enfin la vendetta, les villes refuges de la Bible existent dans les deux cultures, relisez le début de Matteo Falcone de Mérimée… c’est chez moi. Et cet homme s’appelait Forconi.
Le corse qui arrive chez lui sent le maquis, les arbousiers, la soupe de sa grand-mère, le cédrat qu’elle lui donne chaque année. Le juif qui va en Galilée respire la « terre des vivants », le plat de chabbat de sa grand-mère, le cédrat de Souccot, la fête des cabanes, des errants au désert.
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