Les effets d'une guerre qui n'en finit plus...

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Yona Dureau: Les effets d'une guerre qui n'en finit plus...

On a peu étudié les effets d'une guerre incessante sur le psychisme humain, et pourtant, les conséquences en sont lourdes. Les Israëliens réagissent de façons diverses aux pressions psychologiques d'une situation de guerre prolongée.
Nous avions évoqué lors d'un article antécédent, "l'indifférence tragique", une première forme de réaction, correspondant souvent à un type d'individus ne se posant pas trop de questions sur la raison de choses. L'indifférence, en fait, correspond à une forme d'écran que l'individu interpose entre la réalité et ses ressentis personnels pour ne pas avoir à souffrir. Il banalise la réalité dans son discours afin de pouvoir l'intégrer dans les événements du quotidien dont il veut se convaincre qu'ils n'auront pas d'effets sur sa vie personnelle. Il en réduit l'importance par la langue, afin de se persuader de son aspect négligeable.

I Drogue et voile de la réalité
II. Sidération de l'esprit
III.
Le choc de l'effondrement du Sabra et la conscience de l'antisémitisme
IV
Désorganisation des actes et "escapism"

I Drogue et voile de la réalité
Ce phénomène doit être rapproché d'autres attitudes sociales trop souvent considérées séparément. Le taux d'utilisation de la drogue en particulier n'a jamais été aussi haut en Israël, atteignant en priorité les jeunes, mais ne se limitant plus à leur groupe d'âge, et affectant à présent toutes les classes de la société.

Or qu'est-ce que la drogue, sinon un moyen artificiel pour oublier le monde extérieur, et se voiler la face vis-à-vis des difficultés éventuelles de la réalité ? La réaction est donc apparemment différente, et cependant semblable à la précédente, l'indifférence tragique, dans ses causes, comme dans le mouvement de la pensée conduisant à cette attitude.

Si, donc, la société israëlienne connaît un phénomène nouveau avec une généralisation de l'usage de la drogue à tous les âges et dans toutes les classes sociales considérées, ce phénomène traduit un malaise grave, qui doit être étudié pour le comprendre, et non pour le juger. Notre analyse est que ce phénomène n'est qu'une des multiples faces d'une réaction de défense psychique face à l'absurde dans lequel les Palestiniens et les puissances européennes et américaines ont plongé Israël au cours des derniers mois ainsi que nous allons le démontrer ici.

II. Sidération de l'esprit

Autre réaction : on observe chez les Israëliens une forme de sidération de l'esprit. On appelle sidération de l'esprit une incapacité momentanée à penser, comme si l'esprit était figé, gelé. Lors de la guerre du Golfe, on avait déjà observé que les enseignants de l'Université hébraïque avaient été très perturbés par la guerre et s'étaient révélés dans l'incapacité d'écrire le moindre article pendant plusieurs mois. Bien sûr, les conséquences d'une baisse de publication d'articles sont négligeables, mais elles illustrent un impact psychique sur lequel il convient de se pencher, car il est vraisemblable que ce phénomène ne touche pas seulement les chercheurs en littérature, mais aussi bien d'autres intellectuels.

Lors de la guerre du Golfe, la population était priée d'obéir à des instructions sonores lui enjoignant par une sirène d'entrer ou de sortir d'une pièce étanche, d'écouter la radio pour recevoir des ordres plus précis, etc. Ces positions étaient toutes des positions passives face à une agression extérieure, redoublée par la passivité de l'insitution protectrice du groupe social tout entier, l'armée. On observa alors des phénomènes de détresse psychique des hommes en particulier, qui se sentaient dépourvus de leur rôle de défense du foyer familial. Les intellectuels, quant à eux, réagirent à l'absurde de la situation par la sidération de l'esprit: lorsque les choses ne font plus sens, on ne peut plus penser le monde, puisque toute représentation se détruit d'elle même.

Aujourd'hui, Israël vit une situation qui confine à nouveau à l'absurde, puisque le pays vit une situation d'agressions successives et permanentes comme conséquences d'un processus de paix. Les milieux intellectuels, qui avaient beaucoup espéré en cette paix, sont donc frappés de plein fouet par l'absurde conclusion d'un processus de paix dont résulte la guerre, et leur confusion, leur sidération de l'esprit s'avère être une conséquence logique des événements.

Mais, de gauche comme de droite, tous vivent une profonde destructuration de la pensée, issue de l'impasse que présente la situation. Plus personne n'ose dire aujourd'hui qu'il entrevoit une solution au problème du conflit, plus personne ne parvient à l'imaginer, et cette impossibilité à imaginer l'avenir touche par choc en retour l'ensemble de la pensée des individus.

III. Le choc de l'effondrement du Sabra et la conscience de l'antisémitisme

Les Israëliens ont découvert avec stupeur la haine accumulée par les Palestiniens depuis des années, alimentée par l'Autorité palestinienne, et enseignée dans les écoles. Cette haine rend un écho douloureux à la haine antisémite répétée au cours des siècles contre les populations juives, et que les Israëliens prétendaient avec fierté avoir oublié depuis la création de l'Etat. Découvrir que cette éducation de la haine a été favorisée par un processus de paix a replongé les Israëliens dans un triple cauchemar. Non, l'antisémitisme n'était pas le fait de la faiblesse et de la désorganisation des communautés juives en exil. Non, l'antisémitisme n'était pas réservé à ceux qui étaient hors de l'Etat d'Israël, et inconcevable dans leur cas, citoyens d'un Etat souverain et fort. Non, le processus de paix n'avait ni réglé cet antisémitisme latent des nations extérieures, vis-à-vis du Juif et d'Israël, ni évité son développement chez les Arabes.

Le processus de paix a, en effet, démontré avec une précision cruelle, que les Etats européens ne prennent pas en compte les prises de risque accumulées par Israël pour établir la paix, qu'ils persistent à ne se soucier que des Palestiniens dont l'absence de volonté de paix a été démontrée sans ambiguïté par les efforts de Barak, et que leur politique ne vise en définitive qu'à l'établissement d'un Etat palestinien, même si cela implique l'abolition de l'Etat d'Israël.

D'un seul coup, l'image héroïque et rassurante du tsabra, Israëlien fort et affranchi de ces servitudes du passé, s'effondre, et se confont avec celle du Juif de galout, de l'exil, harcelé à chaque génération par la haine.

Le processus de paix a prouvé à tous les Israëliens que les Palestiniens ne voulaient pas la paix mais le territoire d'Israël. Sur toutes les bouches se retrouvent les dernières paroles politiques de Barak ("vous comprendrez dans vingt ans ce que j'ai voulu faire"), désormais citées comme une phrase sybilline prouvant que Barak a voulu démasquer les Palestiniens en allant jusqu'au bout des concessions, afin de prouver que même toutes les concessions faites, Arafat n'établirait pas la paix.

Cette démonstration par l'absurde, même si elle est réelle, et non pas imaginée a posteriori, n'a pas rétabli du sens dans la réalité de ce conflit qui ne connaît ni fin, ni limite. Difficile, en effet, d'admettre, sans culpabiliser comme le font de si nombreuses victimes, que le monde arabe s'organise à nouveau pour détruire Israël. Les missiles iraniens sont en Egypte, les troupes d'élite de Saddam Hussein sur la frontière syro-israëlienne, et jordano-israëlienne. Pourquoi nous détestent-ils tant? Qui croire désormais? Comment imaginer un avenir quand même l'ONU, prétendument neutre, prend fait et cause pour les Palestiniens et les soutient dans une oeuvre de destruction et d'agression?

IV Désorganisation des actes et "escapism"

On s'aperçoit alors qu'un homme d'affaire X procède, selon un ordre absurde, dans le processus de l'exportation de ses produits. Il se soucie de la vente du produit et de l'organisation des revendeurs extérieurs avant d'avoir un brevet pour le protéger et l'autorisation de l'importer pour le vendre. Le même individu présentait des réactions saines et normales peu de mois auparavant.

Les gens s'endettent et consomment sans limite en achetant des objets futiles qu'ils accumulent sans parfois même les utiliser, comme si cette accumulation leur donnait un sentiment de luxe effaçant le danger et l'absurde.

Autre réaction: "l'escapism" selon le terme inventé par les anglophones. Escapism physique, tout d'abord, avec plus d'un millions d'Israëliens hors du pays, (1/4 de la population), que ce soit pendant la période de pessah, mais même en dehors des dates de vacances. Escapism psychologique, avec des soirées impromptues organisées sur les plages, où les individus entrent en transe au son de tam tam de gourous leur permettant de s'imaginer en Afrique le temps d'une nuit. On sort danser en prenant des voies régulièrement attaquées par les Palestiniens, comme si de rien n'était. On fait la fête, selon un rythme effréné, comme on achetait des fleurs dans Berlin bombardé pendant la seconde guerre mondiale. Ce phénomène n'appartient donc pas exclusivement aux Israëliens, et démontre aussi le besoin de se sentir vivre, même au coeur de l'absurde.

Cette situation est loin d'être à l'avantage des Palestiniens, car, en dehors du fait qu'elle a vraisemblablement sa réplique en miroir dans leur camp, il est évident qu'elle engendre une impasse mentale au réglement de la situation. Il serait donc bien stupide de leur part de s'en réjouir, puisque ces phénomènes, s'ils sont la conséquence directe de leurs actions, ne sont pas contrôlables comme des armes, et ne s'arrêteront pas au premier cesser-le-feu. Il est aussi à craindre, si le conflit continue, que l'on observe une multipliciation des cas de comportements incontrôlés dans l'armée, ou dans la société israëlienne, car le poids de la souffrance psychique contenue risque de pousser des individus à décompenser leurs angoisses par des passages-à-l'acte. La persistance de cette situation agit, en définitive, contre les Palestiniens autant que contre les Israëliens.


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