Samia, devenue déléguée, fait la loi dans la classe et humilie fréquemment Steven, le souffre-douleur. Elle croit que tout lui est dû. Un jour, elle m’a offert des dragées avec un sourire charmeur. Seulement, à la fin du cours, elle est venue me demander : « Si je continue comme ça, vous me mettrez une bonne appréciation sur mon bulletin ? » Depuis, elle me rend des services comme remplir la feuille d’appel, effacer le tableau etc...Un jour, je l’ai carrément trouvée assise à mon bureau ! Je n’ai pu m’empêcher de rire tout en lui faisant remarquer qu’elle n’était pas à sa place. Une autre fois, elle m’a offert une petite sculpture en terre du Maroc sur laquelle elle avait écrit : « Bonne année, madame Ben Ami » Est-elle sincère ? Difficile de le savoir…
Le parallèle est visible entre la conduite envers les juifs et celle envers les femmes, entre racisme et sexisme :
Le 11 Février, Damia ( redoublante et meilleure copine de Samia, elle est très coquette et plus intéressée par ma façon de me vêtir et de me maquiller que par mes cours de grammaire. ) me demande si j’ai entendu parler de la jeune fille qui a été brûlée et de la manifestation des femmes qui criaient : « ni putes ni soumises ».
- Moi, dit Baris qui a entendu la question, j’ai battu ma petite sœur parce qu’elle a mis du rouge à lèvres.
En apprenant que la petite sœur n’a que sept ans, j’essaie d’expliquer à Baris qu’à son âge on ne pense pas à mal.
– Quoi, s’énerve Baris, je l’ai juste battue, pas tuée !
Un lundi matin, en ATP, Mohamed m’a demandé très sérieusement : « Pourquoi vous ne restez pas à la maison faire le ménage ? » Culture de la soumission.
En Octobre, Baris a dénoncé Rachid qui trichait. Ce dernier lui a crié :
« T’es une balance, Baris ! T’es une balance ! Dénonce les « petits Français » si tu veux, mais pas nous ! Pas nous ! »
Pas eux…Solidarité de bande.
Je pense parfois, en les regardant, à ce qu’a dit le Rav Sitruk lors d’une conférence, à savoir que les arabes sont aujourd’hui incontournables, surpuissants. De tous temps, Ishmael lutte contre Israël pour la terre mais, explique Maïmonide, il n’y a pas de dialogue possible avec eux car ils mentent. Les textes où la montée de l’Islam était prédite sont notre seule force.
Le temps est-il venu pour nous de faire nos valises ? Faut-il attendre d’être chassé ? Je me le demande de plus en plus en constatant ( sans vraiment être étonnée, la shoah ayant été longtemps ma seule identité Juive ) de quelle manière insidieuse l’antisémitisme s’est installé en France et, d’abord, à l’école.
« Peut-on croire qu’il n’y ait pas d’arrière-fond social et familial aux pires propos assassins jamais entendus dans le cadre de l’école républicaine depuis 1945 ? demande Brenner dans « Les territoires perdus de la république ». L’adolescent qui affirme, sûr de lui, que son rêve est d’exterminer les juifs, celui qui regrette que Hitler n’ait pas vécu un an de plus « pour nous débarrasser des Juifs », cet autre encore qui se prend à rêver, en écoutant le récit du génocide, au « bon musulman » qu’eût fait Hitler n’expriment-ils pas tout haut avec la « crudité », la raideur, voire la part d’attitude provocatrice qui caractérisent leur âge, ce qu’ils entendent dans leurs familles, leurs cités et leurs quartiers ? »
En attendant, les jours et les semaines ( élevées par le Shabbat, jour sans contrainte dans lequel je suis comme dans une bulle ) passent. Les élèves semblent m’apprécier et je me suis habituée (attachée ? ) à eux.
J’aime bien Burcu qui, après la fête du mouton m’a apporté des gâteaux turcs confectionnés par sa mère, je suis attendrie et amusée par la naïveté et les dons de comique du petit Abdoulay, j’admire la souplesse de Samia qui entre en classe en dansant, je suis touchée par Walid qui défend toujours ses camarades et m’a confié que son père le battait, qu’il avait des bleus, je suis un peu agacée par le brave Youssouf qui ne comprend pas grand chose, se croit tout seul en classe et interrompt sans cesse le cours pour m’appeler, j’ai de la peine pour Sonia qui a perdu sa mère, grossit de jour en jour et se montre très serviable vis-à-vis de moi, j’ai de la sympathie pour Sami Klein, arabe au nom juif et aux cheveux décolorés et pour Nordine le séducteur.
Quant à Jamel, sa façon de se défendre avec des « c’est pas moi, madame ! c’est pas moi ! Vie d’ma mère ! » en ouvrant de grands yeux innocents alors que je l’ai juste regardé en fronçant les sourcils, me fait sourire.
Par contre, je me méfie de Yacine qui menace les autres enfants ( il est beaucoup plus grand, plus costaud ), qui est lâche. Il croit qu’il faut crier pour être écouté, frapper pour demander, ne connaît que la loi du plus fort. Il y a une sorte d’animalité en lui. Un jour, à propos d’une préparation de dictée mentionnant Bali, son visage s’est éclairé en pensant à l’attentat et il m’a dit qu’il aimerait bien, lui aussi ...
Je l’encourage néanmoins, j’essaie de lui donner confiance en ses possibilités. Malgré sa violence et son agressivité, il a été impressionné, un jour, lorsque je lui ai dit qu’un langage ordurier dégradait l’âme. « Vous, au moins, vous n’êtes pas raciste ! » a t-il remarqué une autre fois. Et de me confier que la CPE, elle ... Curieusement, il m’aime bien. Un jour, le mot maman lui a échappé à la place de madame et il en a eu honte. Il s’est vite repris en expliquant qu’il pensait à sa « daronne ».
Une autre fois, il m’a confié : « vous savez, de toute l’année dernière, avec madame F., je ne suis allé qu’à trois cours de Français ! Sans doute considère-t-il qu’il me fait une faveur en venant à tous les miens.
- Avril : Nous étudions, dans le cadre du monde de la chevalerie au Moyen âge un texte sur Lancelot, celui où il lit son nom et celui de son père sur la pierre tombale qui lui est destinée.
« Vous croyez au destin, madame ? me demande Yacine.
- Oui, mais je crois aussi qu’on peut le changer par sa bonne conduite.
- Moi, je crois à la fatalité.
- Je sais, dis-je d’un air entendu, mektoub ! » ( Pour les Musulmans, en effet, le destin et les actions de l’homme sont déterminés longtemps avant sa naissance, un des dogmes fondateurs de l’Islam étant l’importance d’une soumission absolue à la Volonté divine. )
Yacine est tellement ahuri que je connaisse ce mot que, bouche bée, il me regarde avec des yeux ronds, incrédules. Je retiens mon envie de rire. Il va sûrement se poser des questions à mon sujet !
Myriam, de la 5°7, m’a confié que ses voisins de HLM avaient porté plainte contre sa famille à cause du bruit. Ils sont racistes, a t-elle ajouté.
Myriam et Fatima, sérieuses et très prévenantes à mon égard, viennent souvent me parler. Et puis, après la fête du mouton, bizarrement, elles m’évitent, se mettent au fond de la classe et « sèchent » même un cours de Français.
- Lundi matin, 7 heures cinq, un froid matin de Janvier. A l’arrêt de l’autobus, au Pontifroy, je regarde avec attendrissement les Juifs qui, coiffés de leur couvre-chef, se dirigent à petits pas dignes et pressés vers la synagogue. Je préfèrerais, moi aussi, aller à l’office. Mais l’autobus numéro onze qui va à B. arrive. Il est comme d’habitude bondé ( beaucoup d’arabes ) et j’ai du mal à trouver une place assise.
Place de la Cathédrale, un homme en costume blanc, au crâne dégarni, grand et maigre, à lunettes, jette du pain aux pigeons en faisant de grands signes de croix. Couché par terre devant la porte d’un magasin, un homme dort, sa canne près de lui.
J’observe les passagers, j’essaie d’imaginer leurs vies. Deux adolescents se regardent avec beaucoup d’amour. Non loin de moi, deux jeunes aux cheveux rouges hérissés, des écouteurs aux oreilles, sautent comme des ressorts. Une réflexion surprenante me fait alors sursauter : un adolescent annonce en effet à sa blonde copine qu’il est aujourd’hui d’humeur ... palestinienne ! Drôle de monde, merveilleux et terrible à la fois.
- Janvier : La séquence sur le conte, en 6°8, est terminée. Nous allons en commencer une autre sur les textes fondateurs : Bible, Odyssée, Enéide, Métamorphoses.
« Dans le Coran, objecte Mohamed ( « l’intello » de la classe : il a beaucoup de connaissances et une richesse de vocabulaire impressionnante pour un enfant de cet âge), on n’a pas le droit de lire les textes sacrés des Juifs. »
Et d’ajouter : « Ma mère m’a dit que les Juifs, euh..., avec Judas...euh, je ne sais plus ce qu’elle m’a dit... »
Je leur distribue un montage de textes de toutes religions et de tous horizons sur la création. Premier texte : la création dans la Bible. Nassir se propose pour lire.
« Est-ce que je peux dire quelque chose d’urgent à Nassir ? » demande Mohamed.
Et d’aller chuchoter quelque chose à l’oreille de Nassir qui, aussitôt après, comme par hasard, a mal à la gorge et ne peut plus lire...
- 19 Janvier : Je fais chercher aux 5°4 le vocabulaire religieux dans le premier chapitre du livre « Double meurtre à l’abbaye ». Un élève propose le mot laïc, un autre le reprend et lui donne l’exemple de l’école laïque. « Il y a encore des écoles religieuses en France ? demande Yacine. Mais oui, ajoute-t-il, que je suis bête ! puisque l’école juive de Metz a cramé avant hier ! »
Bizarre…
- Mardi 11 Mars : Séance « collège au cinéma ». Les élèves du collège Paul Valéry s’installent dans la salle, commencent à regarder le film (« Toto le héros »). Au bout d’une demi-heure, les élèves d’un collège de Montigny, en retard, s’installent à leur tour après avoir fait changer mes 6°8 et mes 5°4 de place. Ces derniers, furieux, déclencheront une véritable « intifada » : envoi de toutes sortes d’objets, dont des canettes. A la sortie, une élève du collège de Montigny , ayant reçu un coup de poing, a le coin de la lèvre en sang, Quant à Kader qui n’a cessé de perturber le bon déroulement du film, il insulte un des professeurs accompagnateurs qui lui a confisqué sa casquette.
Kader n’est pas assidu en classe ; quand il lui arrive de venir en cours, il n’a pas ses affaires, ne suit pas, dérange.( rôle du caïd). Sa mère le soutient et la principale du collège ne fait pas montre d’autorité.
- Lettre amusante (et dont il est très fier) de Rachid ( le plus baratineur et le plus comédien de la classe de 6°8) à la principale du collège ( je ne reproduis pas les fautes d’orthographe) :
Bonjour madame, je vous fais ce rapport pour me défendre. Mardi, nous sommes allés au cinéma pour regarder « Toto le héros », beau mais un peu dur pour les 6°, mais c’est choisi par l’inspection académique, vous pouvez rien faire pour ce film.
On m’a dit que j’ai bougé un peu trop, mais j’ai été une seule fois aux W.C., j’étais pressé. Maintenant dans le bus j’ai chanté (le raï) c’est mon grand frère qui me l’a appris, lui a décidé d’en faire son travail. Alors il voulait que je chante, j’ai chanté mais je n’ai pas dit de mot grossier.
Je l’avoue que la première séance de cinéma j’ai bougé un peu de trop mais cependant pour cette séance, je n’ai pas bougé. Excusez-moi pour ce dérangement, recevez mes salutations distinguées.
Fait à Metz le 12, 03, 03 entre 10h et 10h40. Rachid.
- Jeudi 20 Mars 20003 : Mohamed essaie de me faire parler de la guerre contre l’Irak qui a commencé cette nuit. « Vive l’Irak ! » entonne Samir, le frère jumeau de Rachid.
- Mercredi 26 Mars : Mohamed se propose pour lire le rôle d’Ulysse ; j’accepte. Je m’étonne de son ton bizarre. Son voisin m’explique qu’il imite la voix de … Ben Laden !
Je constate que Mohamed a de plus en plus souvent un visage grimaçant déformé par un rictus qui l’enlaidit. Un visage d’adulte amer, suffisant et méprisant à la fois et non celui d’un enfant. C’est frappant ! En classe, avec moi, il est de plus en plus pénible. Il n’apporte pas son cahier de Français, dessine ou lit au lieu de suivre le cours, dénigre et provoque ses camarades.
« Merci, commis ! » lance-t-il à l’élève qui distribue des feuilles. Il essaie d’être le plus fort pour avoir du prestige aux yeux des autres. Loi de la jungle.
Divisé, ambivalent, de plus en plus mal dans sa peau, (il ne peut rester en place et balance son corps dans tous les sens) le pauvre Steven a peur de lui et le flatte pour lui plaire, être accepté, ou, au moins, pour obtenir la paix ( comme les Juifs qui se prosternent devant les idéologies non juives ? )
Un nouvel élève, Hanine, ( venant des Hauts de Blémont l’autre collège de B., dans lequel, me dit-il, la police descend au moins une fois par semaine ), est arrivé. Mohamed l’accapare et le distrait. Je remarque également que l’hygiène de Mohamed est déplorable. Je le prends à part, lui demande gentiment ce qui se passe. Mohamed me confie que son père est à l’hôpital, que sa mère fait des ménages et rentre tard. Son visage, à présent, me paraît démuni. Il me fait de la peine.
- 28 Mars : heurts entre Mamadou ( très perturbateur, il joue du fait qu’il est noir pour accuser de racisme le prof qui lui fait une remarque) et Myriam ( elle s’est fait récemment prendre en train de voler au super marché). Le premier traite la seconde d’A.S.P( traduction : Algérienne sans papiers). Elle le traite de « sale nègre ».
Cette 5°7 est de plus en plus pénible. Il existe tellement de conflits entre eux qu’ils arrivent en classe surexcités, énervés. Ils sont d’un niveau très faible et ne font pas le travail demandé à la maison. Au conseil de classe du deuxième trimestre, tous les professeurs se plaignent d’eux.
Au cours de la séquence sur le roman de chevalerie, je leur explique un passage sur les entrées opposées de deux chevaliers. L’un, Jaufré, entre avec respect, l’autre, Taulat de Rougemond, avec violence, vanité et goût de la provocation. Je fais un parallèle avec leur entrée en classe. Impressionnés, ils sortent en me disant tous au revoir avec déférence.
Je me suis tellement habituée à les voir partir comme des fous, que j’en suis agréablement étonnée. Mais peut-être leur nouvelle attitude n’est-elle due qu’à la proximité de leur conseil de classe ?
Entre les élèves de la 5°6, régnait également une forte tension au début de l’année ( dès que Saphia et Anthony se regardaient, ils s’insultaient ou se battaient. Dès le premier cours avec eux, j’ai eu droit à une bagarre. J’ai ainsi tout de suite compris ce qu’était une R.E.P….) A présent, cela semble aller mieux.
- 14 Avril : Je fais remarquer à Yacine que Kader n’a pas tenu parole, qu’il n’est pas venu en cours de Français. « Il n’est pas Arabe s’il ne tient pas parole » me répond Yacine qui semble avoir le sens de l’honneur. Yacine s’inquiète : Que vais-je dire sur lui demain soir à son père ( il le craint. Ce père veut absolument que son fils fasse des études. Il ne se rend pas compte que Yacine n’en a pas les moyens) à la réunion parents-profs ?
Quant à Mohamed, vexé de n’avoir pas eu le tableau d’honneur mais un avertissement conduite au conseil de classe du deuxième trimestre, il se tient tranquille. Il ne s’occupe même pas du nouvel élève, Aziz, qui vient d’arriver d’Algérie ( père algérien, mère française ), connaît mal le Français et semble perdu.
Lors de ce conseil de classe, j’ai parlé du refus de Mohamed d’étudier le texte fondateur biblique. La principale n’a pas réagi…( par contre, elle rit beaucoup aux plaisanteries du prof de maths).
Avant les vacances de Pâques, nous avons trouvé dans notre casier un mot de la directrice nous rappelant que nous sommes dans une période de recrutement des futurs élèves de 6°. « Il suffit d’un rien, d’un incident mineur pour enregistrer des dérogations en chaîne. Si nous avons à déplorer des bagarres, des vols, des insultes, des incivilités diverses dans notre collège, il n’y en a pas plus à Paul Valéry qu’ailleurs.
Seulement ici, nous jouons la transparence (!) …aussi profitons de ces rencontres (parents-profs) pour évacuer les idées reçues, à tout le moins pour ne pas les accentuer. »
Faire comme si. Recruter à tout prix. Ne sommes-nous pas au paradis, ici ? Ne finit-on pas par s’habituer aux bousculades et aux crachats dans les escaliers, aux boules puantes dans les couloirs, aux bagarres, aux insultes, aux grossièretés et aux dégradations diverses dont se plaignent les femmes de ménage ? Avant d’être prof, il faut être flic.( leur faire retirer la casquette à chaque début de cours, gérer des conflits qui peuvent éclater à n’importe quel moment etc…)
Je dépense tellement d’énergie pour rester calme ( Je n’y arrive pas toujours ; « Vous êtes énervée, aujourd’hui, madame » me dit quelquefois Yacine. ) qu’à la fin de chaque heure de cours, je suis épuisée et affamée.( J’ai toujours dans mon sac des fruits secs et des granules homéopathiques d’arnica en cas de choc…)
Certains professeurs craquent : Une jeune prof d’histoire, Delphine, est absente pour dépression, la prof de religion ( elle a pourtant peu d’élèves « même avec six je n’y arrive pas » se plaint elle, usée. ) et la prof d’Allemand ( maigre, le teint cireux, ridée, cheveux clairsemés, elle respire la tristesse et la grisaille ) qui ne sont pas jeunes sortent souvent de cours en larmes. Il leur est même arrivé, n’en pouvant plus, de quitter leur classe.
La prof de musique, elle, n’arrivait plus à sortir de sa salle, un jour, à midi, parce qu’un élève bloquait la porte. Elle a été obligée de le menacer de porter plainte à la police pour qu’il la laisse sortir. Au retour des vacances de Pâques, le 6 Mai, une collègue soupire dans la salle des profs : « Je n’ai eu que deux heures de cours et je n’en peux déjà plus. Vivement ce soir !
- Vivement fin Juin ! » rétorque une collègue.
En les regardant, je me souviens de la question de Ben Zoma, l’un des sages de la Michna : « Qui est guibor, quel est le véritable héros ? » Je pense comme lui que c’est celui qui maîtrise ses passions, ainsi qu’il est dit : « qui résiste à la colère l’emporte sur le héros ; qui domine ses passions. Sur un preneur de villes. »
Les guibor des temps modernes ne sont-ils pas ces professeurs qui, malgré l’opposition, l’incompréhension, l’indifférence de leurs élèves, continuent, dans un état permanent de tension à enseigner ( ensaigner) ?
- J’ai trouvé dans mon casier l’autorisation d’absence pour le 17 avril, jour de Pessah… Mais sous réserve de récupération. Normal puisque je suis dans un collège laïque. Seulement alors, pourquoi certaines élèves portent-elles le foulard islamique ? Pourquoi tous les élèves musulmans sont-ils absents lors de la fête du mouton ?
- Lundi 12 Mai : Je constate beaucoup d’agressivité, aujourd’hui : Deux fois, je retrouve Steven à terre dans le couloir du premier étage.
Je commence le cours avec les 5°4 quand la porte s’ouvre brutalement et un garçon fonce droit sur Yacine, se met à le frapper. J’ai du mal à les séparer. Le soir, un autre élève s’attaque à Yacine et lui met de la craie sur sa veste. En classe, personne ne veut plus se mettre à côté de lui et il rage, les yeux plus noirs que jamais, le visage haineux.
Par contre, Kader que j’ai beaucoup complimenté pour le rôle que je lui ai fait jouer dans « Le Médecin malgré lui » que nous étudions, a un beau visage rayonnant que je ne lui avais jamais vu.
Dès le lendemain, je déchante. Les exercices sur le vocabulaire du théâtre ne l’intéressent pas et il se montre plus désagréable que jamais, gardant son sac sur son bureau, prenant une attitude avachie en criant qu’il s’ennuie et en demandant aux autres s’ils ne s’ennuient pas ( il est vexé que les autres répondent par la négative), se déplaçant dans la classe sans permission pour arracher les trousses et cahiers de ses camarades etc..
Quand, à bout de patience, je le préviens que, s’il continue, il aura un avertissement, il rétorque insolemment qu’il s’en « fout ».
- Jeudi 15 Mai : Au cours des deux dernières heures de l’après-midi, les 6°8 se montrent odieux - est-ce à cause de la pleine lune ? Est-ce parce que, en cette période difficile ( de nouveau des attentats cette même semaine) de l’omer, Ha Chem veut me montrer que j’ai besoin de Lui ?- et je sors de classe plus épuisée que jamais. En colère, aussi : Le jeu de certains élèves consiste à faire perdre la face aux profs. Ils ne vivent que par l’agression verbale (« Il a la rage contre moi, explosent-ils. Je vais le marave. »), l’insulte ( Anthony recommence à traiter le père de Saphia d’alcoolique.), le chahut qui est leur seule manière de s’affirmer ou de ne pas montrer leur peur, leur demande de reconnaissance. Chacun considère l’autre comme un concurrent.
( Les élèves de Rabbi Akiva, ne s’étant pas assez réjouis de l’avancement des autres, sont morts, en cette période de l’omer où nous sommes.)
Dès le lendemain matin à huit heures, je leur donne un contrôle surprise sur le thème du respect. Quelques extraits de leurs textes : « Hier en Français je n’ai pas respecté je l’avoue mais comme même je ne faisais pas partie des plus pires…Baris » « Je dois respecter mon professeur pour écouter ce qu’il dit comme ça dans mes études j’avancerai j’aurai un bon métier donc c’est pour ça qu’il faut bien écouter les professeurs mais moi quand je parle je ne peux plus arrêter… Samia » « Le professeur n’est pas là pour faire la police, il est là pour apprendre à ses élèves d’où l’intérêt de le respecter… Mohamed » « Il faut respecter son professeur parce qu’il reste avec nous toute une année comme si c’était nos parents, moi, je m’excuse pour tout, excusez-moi, madame Ben Ami … Mehmet » « Le prof, on le respecte car il nous apprend des choses magnifiques, il faut l’écouter parce qu’ils font tout pour que plus tard on s’en sorte bien, et nous, en échange, on doit lui faire plaisir en lui rendant de bonnes rédactions. Moi, hier, j’ai bavardé la première heure mais la deuxième, je n’ai pas bavardé, madame Ben Ami… Rachid »
« Tu leur as donné l’occasion de faire Techouva » me dit ma cousine Rivka.
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