Cela veut dire nous vivrons : L'ART AU SERVICE D'UNE CAUSE pour faire référence au célèbre dessin de Joan Sfar.
Le 7 Janvier 2015 , il y avait l'attentat de Charlie Hebdo .
Cela avait amené à une belle mobilisation d'une partie de la population française regroupée autour du célèbre slogan "Je suis Charlie".
Nous avons pu voir à quel point il était important de se battre pour la liberté d'expression mais aussi et surtout cela nous a rappelé que le dessin pouvait avoir un impact sur la société (encore aujourd'hui, quantité de dessinateurs de Charlie Hebdo se servent de leur art pour dénoncer les maux de la société). J'ai donc rencontré un artiste inspirant et engagé : GR , qui a récemment réalisé le portrait des otages du 7/10...
Paco DE LA PENA - Comment voyez-vous votre métier de dessinateur à une époque comme la nôtre ?
G.H. Rabbath - L'artiste du futur sera engagé, ou ne sera pas artiste, à mon humble avis. Je vois beaucoup d'artistes de renommée mondiale qui se disent engagés, mais malheureusement, leur renommée s'etant faite au prix de l'aliénation de leur œuvre par les structures du pouvoir en place, cette œuvre même est d'ores et déjà vidée de son sens.
À mon avis, l'artiste doit, avant tout, préserver son œuvre de toute sorte de détournement politique ou idéologique et ce, en annonçant la couleur dès le départ et n'acceptant pas de jouer le jeu du circuit des galeries d'art ou des collectionneurs qui ne partagent pas ses engagements éthiques et moraux.
Paco DE LA PENA -Pensez-vous donc que l'art a un impact sur la société ? Vous définissez-vous donc comme un dessinateur, un artiste engagé ?
G.H. Rabbath - Que l'artiste ait un impact ou non, il se doit d'essayer. Mais disons que l'art contemporain, dans certains cas, offre des possibilités d'interaction et de participation du spectateur, si l'artiste en offre la possibilité bien entendu, sans compter des possibilités de levées de fonds, à l'aide d'événements et projets à buts caritatifs. C'est ce que j'essaie de réaliser à travers mon projet A R K.
Paco DE LA PENA- Vous avez ces derniers temps réalisé plusieurs dessins des otages du Hamas et des personnes décédées lors du massacre du 07 Octobre.
Qu'est-ce qui vous a amené à faire les portraits numériques d'Alex Dancyg, Sharon Avigdori, Tomer Ahimas et Omri Ram ?
G.H. Rabbath -Dans le cadre de mon projet A R K, j’essaie de donner vie aux personnes représentées dans de simples photographies, lesquelles photographies, à mon avis, ne rendent pas justice aux personnes.
Comme l’écrivait Roland Barthes, la photographie se rapporte finalement à la mort et non à la vie. Mon dessin dynamique cherche, au contraire, à insuffler la vie dans les représentations des disparus.
C’est la raison pour laquelle j’avais initié une série de portraits pour les otages et martyrs, d’après les photographies qui nous furent communiquées.
Malheureusement, très peu de photographies étaient d’assez bonne qualité pour que je puisse les dessiner et toutes les organisations et associations que j’avais contacté et qui étaient en contact avec les parents et les proches des otages et ou des martyrs, n’avaient su m’aider à trouver de meilleures photographies.
Ce n’est donc que partie remise, le temps d’être en contact avec des organismes qui puissent m’aider dans cette étape. Mon projet, consiste en effet, à réaliser autant de portraits dynamiques qu’il me sera humainement possible de faire, avant ma mort, et d’envoyer les versions numériques de mes dessins dans l’espace interstellaire, dans l’espoir que ces portraits puissent sortir du système solaire, dans les pas des sondes Voyager I et Voyager II, tels les passagers d’une Arche de l’Alliance.
Paco DE LA PENA-Comment vivez-vous aujourd'hui ce qui s'est passé le 07 Octobre ainsi que la recrudescence de la haine envers le peuple juif et israélien ?
G.H. Rabbath L'action terroriste du 7 octobre n'est en aucune façon justifiable, quelle que soit la violence et les exactions subies par les personnes vivant dans "cette forme de prison à ciel ouvert." Déjà, une organisation violente telle que le Hamas, n'aurait jamais dû gagner des élections démocratiques.
Cela témoigne, à mon avis du niveau de corruption auquel était arrivé ce que l'on appelle l'Autorité Palestinienne.
C’est, un peu, ce qui s'est passé en Afghanistan; la présence des USA avait tellement corrompu le gouvernement en place, que les gens ont finalement préféré traiter avec les Talibans, que continuer à défendre le gouvernement d'Ashraf Ghani, une fois les américains partis.
Je ne suis pas croyant, et pour moi toute religion renvoie à du dogmatisme et à de l'idéologie et empêche les gens de penser pour eux-mêmes, ce qui mène à de l'obscurantisme et à l'intolérance de l'autre. Je prône une sorte de judaïsme athée qui distille l'essence de ce que voudrait dire 'être juif' sans poser la présence ou la promesse d'un créateur. Sur un plan politique, je me sens de même proche de Hanna Assouline et des Guerrières de la Paix.
Paco DE LA PENA - Vous avez aussi peint les rabbins de Judaïsme en Mouvement. Pourquoi et comment cela s'est-il fait ?
G.H. Rabbath -Bien que n'étant pas croyant, j'apprécie ce que défend le rabbin Delphine Horvilleur et les valeurs de Judaïsme en Mouvement, qui prône la modernité, l’égalité des sexes, le pluralisme, ainsi que le combat pour les droits de l’homme.
Le rabbin Delphine Horvilleur, ainsi que certains de ses confrères ont bien apprécié leurs portraits. Il n’est pas nécessaire d’être né juif, ou même d’être croyant, pour se sentir juif. D’ailleurs, depuis la Shoah, je crois fermement que nous devrions tous nous sentir juifs.
Paco DE LA PENA -Y-a-t'il un lien qui relie votre art au judaïsme. C'est le cas de certains grands artistes comme Marc Chagall , est-ce votre cas ?
G.H. Rabbath-Comme je le disais donc plus haut, il nous faut tous nous réclamer du judaïsme, d’autant plus que la pensée transit notre vie intellectuelle. La question de l’Altérité dans la pensée de Levinas, la ‘Différance’ derridienne, le temps messianique de Gérard Bensussan, dont le travail revient sur la pensée juive moderne de Rosenzweig et Benjamin, pour montrer la différence radicale de la pensée juive du temps — qui sépare par le ‘pli’, olam hazé à olam haba — à la pensée circulaire des grecs, ou celle linéaire de la dialectique rationnelle de Hegel; autant de lectures qui ont transformé ma pensée et informé mon projet artistique actuel.
Bien entendu, l’art de Rothko, Pollock ou de Barnett Newman, dont les abstractions puissantes témoignaient, au sortir de la seconde guerre mondiale et des atrocités de la Shoah, de l’impossibilité d’une figuration humaine, m’avaient beaucoup touché et je leur rends hommage dans mon trait, lequel, quoique finalement figuratif, fait hommage à l’abstraction de ces artistes
Je n’oublie pas non plus Arshille Gorky, rescapé lui, de cet autre génocide qui avait précédé la Shoah et qui et passé malheureusement inaperçu pour très longtemps et auquel mes grand-parents échappèrent de justesse. Les atrocités de la Shoah furent d'ailleurs en partie commises parce que l'Allemagne nazie avait noté que pas grand monde ne se souvenait du génocide arménien.
Propos recueillis par Paco DE LA PENA pour Alliance Magazine
Vos réactions