Black Israël

Reportages - le - par .
Transférer à un amiImprimerCommenterAgrandir le texteRéduire le texte
FacebookTwitterGoogle+LinkedInPinterest

blackisrael.jpgPropos recueillis par Pape Bakary CISSOKO

Black Israel nous fait découvrir les relations entre le monde noir et le monde juif au travers de quelques itinéraires personnels  .

Maurice DORES est un chercheur et un cinéaste. Il a vécu plusieurs années en République Centrafricaine et au Sénégal. Ensuite il a enseigné au département de psychologie de l’Université de Paris 5, puis au département d’ethnologie de l’Université de Paris 7. Il participe aussi à l’équipe de "professionnelles" du Centre Minkowska à Paris 17 ème. Il a réalisé plusieurs films et documentaires dont celui dont on va parler "Black Israel".

Mr Dores je sais que vous n’aimez pas parler de vous, alors je vais tenter de vous présenter à nos internautes. Professeur, Docteur, cinéaste etc , je ne sais pas trop quel qualificatif utiliser. Votre documentaire a été présenté pour la première fois au FESPACO de 2003 au Burkina Faso, pourquoi avoir choisi de le présenter en Afrique et à des professionnels ? Quel accueil ?

Maurice DORES : Le parcours d’un documentaire c’est toujours plusieurs festivals et justement je suis très content que les dates aient conduit le film à démarrer au FESPACO puisque l’essentiel de ce film c’est la dimension trans-culturelle, c’est la dimension interculturelle du dialogue entre les cultures, or justement il est question d’une succession de rencontres entre africains, de noirs américains avec le monde juif, ça ne pouvait pas mieux tomber que ce documentaire démarre au FESPACO, puisqu’il faut dire qu’il s’agit d’un documentaire juif qui doit etre vu par les africains.

L’accueil a été très bon, très varié, parce que le public du FESPACO est un public très varié, constitué de professionnels et de non professionnels. Il y avait des gens du Burkina, la première projection était avec des lycéens. Disons que les réactions étaient diverses. Les réactions des africains étaient pour certaines passionnées, pour d’autres plus interrogatives et j’ai même vu certaines personnes qui étaient très étonnées, c’était une découverte pour eux de savoir qu’il puisse exister des juifs noirs

Vous venez de réaliser ce film atypique "Black Israel". De quoi parle ce documentaire ? Pourquoi avoir décidé de traiter d’un sujet si sensible et occulté en général ?

Il y a le sujet du film et le film en lui meme, il y a le fond et la forme. Ce qui s’est passé c’est que j’avais des moyens limités et aussi une idée sur la façon de faire le film. Il fallait faire correspondre les moyens et l’idée. L’idée c’était une succession de rencontres avec des personnes qui ont une culture black, africaine ou noire américaine et leurs relations avec le monde juif, mais je ne voulais pas tenir un discours sur ces personnes, je ne voulais pas les "éthnologiser" . Ce qui était important de voir c’est que chaque démarche personnelle avait sa propre individualité. Et c’est sans commentaire que j’ai voulu donner la parole... Dans ce film il n’y pas de regard extérieur, il n’y a pas de discours , ce sont vraiment des gens qui prennent la parole et on s’aperçoit que leur relation, leur mouvement , leur démarche vers le judaisme, leur compréhension ou des juifs ou d’Israél à chaque fois dépend de leur propre histoire personnelle

On est surpris en général de savoir que des noirs pouvaient être de religion juive. Qu’en pensez-vous ? Quand on fait l’exégèse de la Tora on voit la figure d’une femme noire juive, qu’est-ce cela vous inspire ?

Là, il y a plusieurs questions. D’abord pourquoi le titre du Film Black Israel ? Comme un personnage le dit ( un Nigérian d’ethnie Iboo) le judaisme n’a pas de couleur et lui Iboo est venu rechercher en Israel l’essence juive. Le judaisme a une dimension universelle et il est dit dans le judaisme qu’ on ne peut insulter le père de personne parce qu’on s’insulte soi-meme. On dépend tous de la même personne. Donc si un personnage a une couleur ça ne peut être que le rouge qui est la couleur du sang, c’est dit dans le Talmud. Mais le judaisme n’a pas de couleur. C’est bien dit dans la Bible, dans la Tora contrairement à certaines interprétations idéologiques qu’il n’y a aucune discrimination. Pour aller plus loin dans la réflexion de la dimension de la couleur noire le judaisme ne s’attache pas à la couleur et ça me paraît très important .

IL est d’ailleurs dit dans le judaisme que le premier homme puissant sur terre c’était Nimrod, c’était un africain. Donc c’est totalement contradictoire avec ce qui est dit qu’il ait la malédiction de Chaam, je répète et sans arrière pensée et sans intérêt qu’il n’y a aucune discrimination dans le judaisme. Pour revenir à la femme noire, on s’écarte peut-etre du sujet.( on se lance dans cette petite digression interessante ). J’ai posé cette question à des personnages et j’ai compris que le sujet n’intéressait que moi et eux ce n’était pas leur problème. Leur problème ce n’était pas la couleur ce que représenter d’Universalité le judaisme. Je leur ai posé la question sur la femme noire de Moise et ces gens ont répondu de façon laconique "je n’y étais pas".

C’est pour dire que ce n’est pas ça l’intérêt. Le judaisme n’est pas une question des origines mais la question fondamentale et importante c’est l’Etude, c’était essentiellement l’étude, la lecture , l’écriture , On a pensé que la femme de Moise était noire parce qu’on appelait ethiopienne, elle est appelée éthiopienne dans la Bible , en réalité il y a des commentateurs qui disent qu’elle ne l’est pas mais que dans l’étude des texte, la gematria, chaque mot a une équivalence numérique, chaque lettre a une valeur numérique et dans la gemetria couchique ethiopienne égale yeffet beauté, donxc la femme noire symbolise la beauté et on retrouve ça dans le Cantique des Cantiques "Je suis noire, désirable" etc Il y a beaucoup à dire mais je préfère qu’on revienne au film.

Dans quelles régions du monde trouve t-on des noirs juifs ou juifs noirs ?

On les retrouve partout, évidemment et plus particulièrement en Israel. et aux USA. On le voit bien dans le film, mais on trouve aussi des juifs noirs aux Indes, au Yémen, et puis en Afrique bien sur. Dans les Caraibes aussi.

Votre documentaire parle de façon précise de la situation de communautés de noirs juifs, est-ce que les rapports entre juifs d’Israél et les juifs noirs sont bons ?

Je ne comprends pas votre question Il n’y a pas d’un côté les juifs noirs et de l’autre les juifs d’Israel. Les noirs font partie intégrante. Il y a une communauté noire, celle de juifs noirs d’Harlem. On ne peut pas parler de rapports qui sont bons ? C’est comme si on parlait de rapports bons entre un frère et une sœur. Ils font partie du peuple juif.

Cela dit on ne peut pas nier certains problèmes, comme des problème qu’on trouve dans toutes les communautés mais il est évident qu’en Israel il n’y a pas de racisme, mais il y a bien évidemment certaines difficultés quand certains religieux très orthodoxes ne reconnaissent pas ces gens parce que leur conversion n’est pas faite dans les règles. Ce sont des cas particuliers et non la généralité.

Quelles sont les ressemblances entre certaines tribus d’Afrique avec la culture juive ? (Les Bamiléké du Cameroun par exemple pensent qu’ils ont des points communs avec les juifs)

Je ne connais pas les Bamiléké mais je peux vous parler des Iboo, les Lemba. Dans les années 1920 des ethnologues allemands ont trouvé des similitudes entre des rituels noirs et juifs. L’ethnie qui est la plus proche des juifs est celle des Lemba . Des études génétiques ont démontré que les Lemba avaient des parentes très proches avec les juifs noirs du Yémen, ces derniers qui sont de le descendance directe depuis Salomon, la reine du Sabbah. Chez les Lemba on sait qu’il ne faut pas mélanger le lait avec la viande, il y a chez cette communauté l’idée qu’il y a des sources juives et actuellement les Lemba.

Il est reconnu qu’on naît juif et en plus il faut tout un processus de conversion qui paraît long et éprouvant, pensez-vous que les noirs soient facilement admis dans la communauté juive. En clair est-ce qu’on ne les voit pas autrement, avec une certaine méfiance ?

Là il faut bien dire que paradoxalement, les religieux sont ceux qui mettent le plus de réticence à considérer certains noirs qui se disent juifs et qui ne sont pas passés par le processus normal. Mais une fois que la personne a fait la conversion selon les règles au contraire c’est chez les religieux que l’idée d’une différence entre un noir et un juif n’existe pas. Ce qui compte pour un juif religieux c’est respecter les commandements, le chabbaat le samedi, on s’arrête de fabriquer, on ne pense qu’a dieu, à la spiritualité, et puis respecter certaines règles. Une fois qu’une personne a étudié et suit les commandements il est accepté. Le peuple juif est très diversifié.

Les Juifs noirs utilisent le terme de retour plus que de conversion au judaisme, comment expliquez-vous cette subtilité langagière ?

Il ne faut pas parler comme ça. Il n’y a pas de juifs noirs et de juifs blanc, il y a des des juifs noirs utilisent le terme de retour. On voit dans le film un juif un nigérien, ancien pretre catholique devenu juif qui se moque complètement de l’idée que ses ancetres pourrraient etre juifs. Ce qui compte pour lui c’est l’étude du texte le talmud. Chez les noirs américains c’est une autre explication, l’idée du retour fait référence à l’idée qu ‘il y a eu un exil , un arrachement et à ce moment là l’identité juive est une sorte d’héritage qu’on se réappoprie.

Moi qui ai eu la chance d’assister à la première projection au Centre Culturel Juif de la rue BROCCA à Paris, j’ai compris que la communauté juive noire d’Israël était installée dans une zone spécifique, un peu à l’écart des autres. Comment l’expliquez-vous ?

Non, Non Ce ne sont pas des Juifs noirs. Ce sont des hébreux Ils se disent des hébreux noirs, c’est la communautés des Immona, des noirs américains qui au regard de l’état d’Israel ne sont pas des juifs. Les hébreux noirs ont un messie Cette communauté est très particulière, elle est à part, évidemment avec un discours très radical anti-américain, anti-israelien, très tiers-mondiste. Maintenant les choses sont entrain de changer. Ces gens cherchent à l’intégration dans la société israelienne alors qu’auparavant ils cherchaient à se distinguer.

Il y a 6000 noirs juifs en Israél dans quels domaines travaillent -ils, dans quelles conditions et pour quel statut ? Les Juifs d’origine afro-américaine semblent mieux lotis.

Non, non il y a 6000 travailleurs africains en Israel. Là on change complètement de sujet. Dans ce film il y a tout, il y a ceux qui se veulent juifs parce qu’ils veulent étudier, il y a ceux qui ne sont pas du tout juifs mais qui croient être les vrais hébreux avec une dimension beaucoup plus idéologique, et aussi des gens qui n’ont rien à voir avec le judaisme. L’intérêt de ces 6000 travailleurs africains sur le sol juif apporte son regard sur la société israelienne.

  "Black Israel" a été diffusé lors de l’édition 2003 du Fespaco   La communauté afro-américaine a crée une entreprise de glace à base soja (glace cacher), elle explique que les membres sont végétariens et c’est pourquoi ils ont initié cette activité qui est aujourd’hui labélisée à travers le monde

Ils sont très américains, ils ont toute l’importation du sucre roux en Israel, ils ont une marque de haute couture etc. Par exemple trois jeunes branchés de Tel-Aviv étaient entrain de monter avec ces américains une chaine de restaurant.

Les juifs venus d’Afrique ont apporté du rythme dans les offices pensez-vous que cela plaise aux autres juifs ?

Chaque communauté à son mode de fonctionnement . Mais il faut noter deux choses importantes dans la religion juive : Il y a les commandements ( tu ne tueras point, tu ne voleras point etc) qui sont strictement les mêmes pour tous sans distinctions de communautés. Il y a les traditions et coutumes qui appartiennent à chaque groupe ( culinaires).

Votre documentaire a montré beaucoup d’humanisme. Est-ce un bleuf ou est-ce que votre message correspond à la réalité des relations entre humains ? Quelle est la proportion de racisme, on ne peut pas dire qu’il n’y en a pas ?

Non je ne parlerai pas de racisme . Mais bien évidemment Israel est comme n’importe quel pays du monde il y a des gens qui sont intelligents et il y en a qui sont moins. Les ethiopiens ont du affronter des difficultés et meme du racisme mais il faut dire que Israel est un pays d’immigration, et les gens installés voient autrement ceux qui arrivent avec des yeux pas toujours cléments. Il y a eu une grande solidarité quand les juifs d’Ethiopie sont arrivés en Israel, mais en raison de leur faible niveau d’instruction ils n’étaient pas aux meilleures place de la société. C’est vrai qu’ils ont éprouvé beaucoup de difficultés qu’on ne peut pas nier.

Enfants jouant dans le quartier de la communauté des "hébreux noirs" fondé à Dimona en Israel en 1969 © Eyal Warshavsky   On a vu des rabbins noirs reconnus au même titre que leurs pairs blancs est-ce à dire que la cause de juifs noirs est bien entendue et acceptée en Israël ?

Pour ma part , il n’y a pas de problème.

On rit aussi dans ce documentaire. Par exemple quand le Rabbin juif-blanc dit au jeune candidat noir : pourquoi en plus d’être noir, vouloir être juif ? Est-ce volontairement que vous avez voulu dé-dramatiser la situation en incluant des situations ?

C’est une vieille plaisanterie juive. ce n’est pas un Rabbin qui a dit ça, c’est un juif européen qui a rencontré ce rabbin noir et qui lui a dit , ça ne vous suffit pas d’etre noir, ce n’est pas si difficile comme ça . J’ai posé la question à Samara Fish ( noire américaine) une historienne des religions, qu’est-ce qu’il y a de commun entre les juifs et les noirs, elle répond le gout de la vie, des mots , le rire. Il y a des gens qui croient que noirs juifs égale douleur, c’est faux C’est Francis BEBEY musicien camerounais qui disait que si l’Afrique devait apprendre quelque chose au monde ce serait le "grand rire nègre" le grand rire noir de Senghor, un film sur les juifs et les noirs où on ne rit pas, ce n’est pas sérieux.

Quelle est la véritable situation des juifs noirs en Israel ? L’accession à la propriété est refusée aux juifs noirs parce qu’ils ne sont pas admis comme citoyens juifs, pensez-vous que cette situation évoluera un jour dans le bon sens ?

Il ne faut pas dire ça, c’est absolument faux. C’est cette fameuse communauté d’Immona qui vit dans les villes nouvelles du Néguev. Il n’y a pas beaucoup de pays au monde qui accepteraient que trois milles noirs s’installent sur leur sol et refusent leurs lois. Il y a du nouveau pour cette communauté, l’Etat leur a donné des terres, le problème du permis de travail est réglé etc. les Hébreux noirs sont victimes de terrorisme. Il n’y a pas longtemps lors d’un mariage il y a eu un attentat et le chanteur a été tué. En Israel tous les gens tué lors d’un attentat sont dans le journal et ce chanteur a eu sa photo dans les colonnes des journaux. Ce qui montrent qu’ils sont tous dans la même barque.

Pourquoi avoir voulu présenter le film seulement dans les festival ? Pourquoi pas à la télévision ?

C’est un projet. Les festivals sont l’occasion de rencontres, c’est un passage obligé. Il y aura une sortie à la télé mais la présentation sera retravaillée...etc

Y-a-t il des dates prévues pour la France ?  je vous signale que beaucoup de cinéphiles l’attendent et pourquoi ne pas le mettre sur la voie traditionnelle des cinémas, ou du petit écran pour que le grand public puisse en profiter.

J’ai quelques demandes, certainement à la rentrée Le film va sortir au MEDEM le 29 Novembre 2003 ce sera au 50 rue Boulanger. Il y a beaucoup de contact, le musée du judaisme est intéressé etc. Certainement dans divers centres. J’aimerai bien et je profite du site africain Grioo.com pour lancer un appel aux communautés noires pour faire des projections suivies de débats. L’association "Juifs et africains" m’a invité. Cette association mérite de revivre et je pense qu’avec ce film les choses reprendront sérieusement.

Etes-vous aujourd’hui avec ce documentaire un homme heureux ?  je rappelle que le projet est vieux de 20 ans .

Oui bien évidemment. Je prends mon temps. Je suis content et heureux il me faut 10 ans pour écrire un livre et 20 ans pour faire un film et quand le bébé arrive c’est parfait, ce qui me rend le plus heureux c’est l’enthousiasme de certaines personnes, la réaction des gens qui s’intéressent au film

Si vous avez un message pour ce monde multi-culturel quel serait t-il ?

Le message c’est celui du dialogue et de la connaissance

Mr DORES, Je vous remercie

Bibliographie

-  La femme village ( maladies mentales et guerisseurs en Afrique noire), l’Harmattan, 1981.

-  La beauté de cham ( mondes juifs, mondes noirs) Balland, 1992.

Filmographie

1975 "Borom xam-xam" 60 minutes ( un guerisseur à St-Louis du Sénégal ) 1982 "Sept nuits et sept jours" 50 minutes ( une cérémonie thérapeutique, le Ndep au Sénégal) - Primé à Paris, Nice et Lorquin. 1986 "Cap Manuel" 14 minutes, court métrage de fiction. 1989 "psychiatrie à Dakar" 52 minutes 2002 "Black Israel"

Vos réactions

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A voir aussi