Yossi Boublil, premier ministre d'Israël !

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Article paru dans "Le Monde", le 02/12/08

A deux mois des élections législatives, les Israéliens n'ont qu'un seul nom à la bouche. Il ne s'agit ni de Benyamin Nétanyahou, le patron du Likoud pourtant favori des sondages, ni de Tzipi Livni, sa principale rivale, ministre des affaires étrangères. Non, le sujet d'obsession numéro un de la rue israélienne est un modeste entrepreneur en bâtiment nommé Yossi Boublil.

Inconnu il y a encore trois mois, ce quinquagénaire séfarade est la vedette du reality-show "Ha'Ah Ha'Gadol", un remake de la tapageuse émission américaine "Big Brother", adaptée en France, en 2001, sous le label "Loft Story". Hâbleur, truqueur, macho, ignare et fier de l'être, Boublil est une caricature vivante de Mizrahi, le juif oriental. Ses blagues et son parler populo sont recyclés en permanence dans la presse et sur le Net, alimentant une controverse interminable entre les pro-Boublil qui encensent son naturel et les anti-Boublil qui abhorrent sa grossièreté. "L'emballement médiatique est tel qu'on a le sentiment que Boublil est aujourd'hui la personne la plus importante d'Israël, dit Yaron Ten-Brink, le chroniqueur télé du quotidien Yediot Aharonot. On en vient même à se demander si, à la fin du show, le Likoud ne va pas tenter de le recruter pour sa campagne électorale."

Produit et diffusé en prime time par la Chaîne 2, le "Big Brother" israélien a débuté le 1er septembre. Avec un Audimat moyen de 37 %, il réalise l'une des plus fortes audiences de l'histoire de la télévision. Entre leurs deux épisodes hebdomadaires, les fans les plus accros peuvent se rabattre sur le câble et sur l'Internet où l'émission est retransmise en continu, 24 heures sur 24. Près d'un million d'Israéliens (sur une population de sept millions) suivent ainsi les tribulations des protagonistes enfermés dans une villa des abords de Jérusalem, avec cinquante-six caméras qui épient jusque dans les douches leurs moindres mots et gestes.

Seize au démarrage, ces cobayes cathodiques sont désormais huit, après que la moitié d'entre eux a été débarquée du programme par le vote du public. Le vainqueur sera couronné le 16 décembre, lors de l'épisode final, qui promet d'atteindre des records d'audience. "Le succès que rencontre ce programme en Israël est sans commune mesure avec celui qu'il a eu dans les soixante-dix autres pays où il a été diffusé", dit Udi Leon, programmateur sur la Chaîne 2.

La raison numéro un de ce triomphe tient au casting. Outre l'inénarrable Yossi Boublil, les producteurs ont rassemblé dans la villa un représentant de chaque facette de la société israélienne. Tzabar, 27 ans, apprenti avocat, est le sabra ashkénaze, droit comme une épée ; Léon, 22 ans, d'origine russe, est l'homosexuel fana de mode ; Shifra, 27 ans, hôtesse de l'air, est la laïque militante, réchappée du monde ultraorthodoxe ; Ranin, 24 ans, mannequin et aspirante actrice, est la Palestinienne émancipée dont chacune des phrases est un mélange d'arabe, d'hébreu et d'anglais ; Vanessa, 27 ans, jockey, est l'immigrée de France qui parle sexe avec la même impudeur que l'Israélien de souche parle fric ; Asher, 29 ans, est le nationaliste religieux dont la femme accouche pendant le show... et ainsi de suite.

Très vite donc, la mayonnaise a pris. Mais dans un sens imprévu. Au lieu que la tension s'articule autour de Ranin ou de Asher, l'Arabe et le religieux, les deux têtes de turc de la société israélienne, c'est le vieux conflit Ashkénaze-Mizrahi qui sert de carburant. "C'est la guerre des juifs du bazar, du souk, les juifs bronzés qui gardent leur épouse à la maison contre les juifs européens, ceux de Tel-Aviv, bien éduqués et respectueux des femmes", raconte Vanessa, la "Française" récemment sortie de la villa. "C'est très intéressant de voir ce conflit éclater en prime time alors que, en temps normal, débattre de ce sujet à la télé est quasiment impossible, dit Yaron Ten-Brink du Yediot Aharonot. Cela montre combien les préjugés racistes perdurent en dépit du discours officiel qui assure du contraire. Si, comme on s'y attend, Boublil l'emporte à la fin, ce sera une belle revanche pour ceux qui ont été traités trop longtemps comme des citoyens de seconde zone."

L'autre singularité de l'émission tient à son aspect plutôt prude. "Israël se plaît à s'imaginer en pays libéral, mais en fait, c'est un pays très conservateur, et ce, d'autant plus que le territoire est tout petit, explique Yaron Ten-Brink. Aucun des participants n'a envie que sa grand-mère apprenne ce qu'il a fait dans la villa. Les producteurs, qui ne veulent s'aliéner aucun public, coupent au montage toutes les scènes chaudes."

Pas de sexe, mais un scandale, venu de l'incontrôlable Boublil qui s'est vanté d'avoir, par le passé, forcé une femme à coucher avec deux amis pour les besoins d'un pari. L'épisode ne semble pas avoir entaché la popularité de l'entrepreneur d'Ashkelon. Sur le site de l'émission, un internaute a téléchargé des photos de son idole, surmonté du titre : "Boublil, premier ministre d'Israël". Récemment, un présentateur de radio prédisait sur un ton mi-sérieux, mi-amusé : "Le soir des élections, le 10 février 2009, on sortira des urnes des milliers de bulletins invalides, avec le nom Yossi Boublil griffonné dessus."

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