Youssouf Fofana : Les confessions d'un "barbare"

Antisémitisme/Racisme - le - par .
Transférer à un amiImprimerCommenterAgrandir le texteRéduire le texte
FacebookTwitterGoogle+LinkedInPinterest

Source : L'EXPRESS

    " Du fond de sa cellule, Youssouf Fofana écrit souvent au procureur de la République. Le chef du « gang des barbares » ne veut surtout pas être oublié. Il entend rester le maître du jeu, l'insulteur, le provocateur, lui qui avait organisé, le 20 janvier 2006, l'enlèvement, à Paris, d'un jeune juif et sa séquestration, à Bagneux (Hauts-de-Seine). Avec l'appui d'une dizaine de complices, Fofana avait ensuite exigé une rançon en échange de la libération d'Ilan Halimi, au prétexte que « les juifs ont de l'argent ». Trente-trois jours plus tard, le jeune homme avait été retrouvé, agonisant, au bord d'une route dans l'Essonne. Sa mort avait ému l'opinion et entraîné une grande manifestation contre l'antisémitisme.
  
    Deux ans ont passé. Youssouf Fofana n'a pas changé. Dans son courrier, les cibles sont multiples, mais l'ennemi, toujours le même : le juif et ses soutiens supposés, tel Nicolas Sarkozy, « vendu à la solde des sionistes américains ». Lorsque les juges d'instruction Corinne Goetzmann et Baudouin Thouvenot l'ont interrogé sur les motivations antisémites de son acte, il a répondu : « Allah et son prophète, ils aiment pas les juifs. » Il a aussi signé l'un des procès-verbaux d'interrogatoire en l'accompagnant de la mention : « A mort Israël. »
  
    Le principal suspect dans la mort d'Ilan Halimi n'a changé qu'une fois de langage. Peu après son extradition de Côte d'Ivoire, son pays d'origine, où il s'était réfugié, il récusait toute motivation raciste à son acte. « Je ne suis pas antisémite, je n'ai tué personne de mes mains », affirmait-il alors à la juge. Le chef des « barbares » préférait insister sur les mauvais traitements - coups, matraquage, électricité - qu'il aurait subis selon ses dires à Abidjan. « Quand je leur disais un truc qui n'allait pas, j'étais frappé », déclarait-il à propos des policiers ivoiriens.
  
    Au fil de l'instruction, le jeune Français, aujourd'hui âgé de 27 ans, lâche quelques bribes aux juges et aux experts. De lui-même, il parle peu, à l'exception d'un étrange aveu, sans doute l'écho d'une scolarité ponctuée d'échecs : « Je lance des paroles comme ça, je ne lis pas, je suis lobotomisé. » Presque rien, non plus, sur sa famille, ses six frères et soeurs, tous bien intégrés à la société française, à l'exception d'un seul, qui souffre d'un handicap mental. Rien, enfin, sur ses parents, son père, manutentionnaire retraité, sa mère, femme de ménage, venus de Côte d'Ivoire en France « pour avoir une bonne vie ». Fofana laisse juste échapper un cri de révolte : « Ça fout la haine de voir ses parents comme ça nettoyer les chiottes. » A cela, il ajoute une version quelque peu arrangée de son parcours. « Je suis barbare, enfant des cités », revendique-t-il. En fait, il a vécu à Paris, jusqu'à l'âge de 14 ans.
  
    Youssouf Fofana est bien plus prolixe dès qu'il est question de l'affaire, de « son » affaire. Il évoque ainsi volontiers son emprise sur ses complices : la jeune fille qui servit d'appât pour attirer Ilan Halimi, les geôliers du jeune homme dans un immeuble de Bagneux, ceux qui l'accompagnèrent jusqu'à la scène finale des cinq coups de couteau et du corps partiellement brûlé. « J'ai été le chef, oui, ils m'obéissaient tous. »
  
    Lors d'un interrogatoire, il cherche même à les dédouaner. « Mes co-mis en examen ont été forcés moralement et physiquement à faire ce qu'ils ont fait. En fait, ils n'ont jamais voulu le faire », dit-il. Cette autorité sur le groupe est confirmée par plusieurs de ses comparses. « C'est pas des pressions physiques mais psychologiques, affirme l'un d'entre eux. Il mettait les gens au pied du mur. C'est une personne têtue. »
  
    Puis les diatribes antisémites deviennent une rengaine. Même en prison. L'administration pénitentiaire fait ainsi état du témoignage d'un détenu ayant parlé avec Fofana. Ce dernier lui a dit qu'il n'aimait pas les personnes de confession juive, qu'il n'avait pas choisi sa victime au hasard. Lors d'une audition devant le juge Thouvenot, il déclare : « Moi, je vous aime bien, mais je préfère Mme Goetzmann parce que c'est une juive et que je préfère avoir mes ennemis en face de moi et pas d'intermédiaire. » Plus tard, lors d'une confrontation avec d'autres mis en examen, Youssouf Fofana demande à faire une déclaration. « Inch Allah, commence-t-il, il y aura un commando qui va m'évader [...] politiquement, je suis le symbolique trophée de guerre détenu par les sionistes de New York [...]. Economiquement il y a des compagnies pétrolières arabes qui au nom d'Allah voudront à tout prix récupérer le symbolique trophée de guerre... » Et les propos de celui qui se rêve aussi un destin de « grand chef de guerre » en Côte d'Ivoire se concluent par une demande de mise en liberté.
  
    En dépit de l'aspect délirant des paroles de Fofana, les avis des experts, psychologue et psychiatres, se rejoignent : il n'est « pas pervers », « pas psychotique », et est doté d'une « intelligence normale » avec « nul indice de déficit ». Il manifeste bien quelques traits de psychopathie, mais n'est « pas vraiment un psychopathe ». Les expertises s'accordent par ailleurs pour décrire « une personnalité rigide avec absence du sens de l'autre et de remise en question de soi, narcissique, dominatrice, égocentrique, très déterminée, manipulatrice ». En outre, Fofana se signale parce qu'il ne manifeste « aucune expression de regret ou de culpabilité ». De fait, pendant les interrogatoires, il ne fait jamais mention de la victime, Ilan Halimi, comme d'une personne. Dans sa bouche, ce dernier n'existe pas.
  
    Depuis son retour en France, Youssouf Fofana a recouru aux services d'au moins 36 avocats, désignant et récusant à tour de rôle ses défenseurs. Et il n'a pas caché son désir aux magistrats instructeurs. « Qu'est-ce que vous cherchez à me faire dire ? Moi, je suis là pour vous emmerder. »
  
La victime et l'appât
  
    Elle se prénomme Yalda. C'est elle qui, à l'instigation de Youssouf Fofana, a attiré Ilan Halimi dans le piège qui a finalement coûté la vie à ce dernier. Elle devait recevoir en échange une somme d'argent. Fofana ne lui avait pas désigné Halimi en particulier. Il voulait simplement un juif, parce que « les juifs sont solidaires entre eux et qu'ils paieront » une rançon. Elle est entrée dans le magasin de téléphonie mobile où celui-ci travaillait. C'était le plus proche de l'endroit où elle s'était arrêtée en voiture. Aussi, lorsque la juge d'instruction lui demande : « Avez-vous bien conscience que c'est vous et vous seule qui avez choisi la victime ? », elle répond : « Oui. »
  
    Mineure au moment des faits, la jeune fille est toujours incarcérée. En prison, elle a effectué trois tentatives de suicide.".

   

Vos réactions

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A voir aussi