SNCF : Un procès sur les rails

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Plusieurs centaines de personnes ont adressé, ces derniers jours, des courriers à la SNCF et au ministère de l’Intérieur. Elles exigent de la Société Nationale des Chemins de Fer qu’elle les indemnise pour sa responsabilité dans le transport notamment de leurs proches vers les camps de la mort. Il s’agit là d’une première démarche avant un dépôt de plainte devant les tribunaux administratifs. Les plaignants se fondent sur la décision du tribunal administratif de Toulouse qui a condamné le 6 juin l’État et la SNCF à verser une indemnité à la famille du député européen Alain Lipietz pour avoir acheminé des membres de sa famille de Toulouse à Drancy. La démarche des requérants est loin de faire l’unanimité. Nous avons donné la parole aux différents protagonistes, notamment à Serge Klarsfeld, opposé à une telle initiative, et à la SNCF. Les responsables communautaires, eux, sont globalement très réticents.

Le procès intenté par le député européen Alain Lipietz est, à ce jour, le seul à avoir abouti à une condamnation de la compagnie ferroviaire française. Pourtant, d’autres recours devant des tribunaux français et américains ont déjà eu lieu. Sauf un délibéré attendu pour 2007 par une cour new-yorkaise, tous ont jusqu’à ce jour été rejetés.

A l’origine, deux procédures parallèles entamées par Kurt Werner Schaechter et Jean-Jacques Fraenkel, deux hommes qui ont en commun l’Histoire ainsi qu’une certaine soif de vérité. Pour eux, l’implication de la Société Nationale des Chemins de Fer dans l’assassinat de leurs parents ainsi que celui des quelque 85.500 autres Juifs déportés vers les camps d’extermination est sans équivoque. C’est pourquoi ils ont demandé aux juges de confirmer leurs points de vue. En septembre 1998, Jean-Jacques Fraenkel dépose une première plainte pour crime contre l’humanité auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris. Plainte qui ne sera pas suivie d’effets puisque le juge d’instruction Valat rejette la procédure, estimant que les preuves à la charge de la SNCF ne sont pas suffisantes.

« Convaincu que la justice française ne condamnerait jamais la SNCF, j’ai ensuite décidé de me tourner vers les tribunaux américains à travers une class action », explique-t-il aujourd’hui. En vertu d’une loi appelée Alien Tort Claim Act et en vigueur aux Etats-Unis depuis le XVIIIe siècle, les particuliers (qu’ils soient américains ou non) victimes d’atteintes aux Droits de l’Homme peuvent en effet porter plainte devant des tribunaux américains. Et ce, même si les crimes ont été commis à l’étranger. En septembre 2000, l’avocate américaine Harriet Tamen dépose donc au nom de son client franco-américain une plainte en nom collectif contre la SNCF devant la cour fédérale de Brooklyn. Un an plus tard, le 5 novembre 2001, le juge David Trager l’estime lui aussi irrecevable. A cause, dit-il du statut de monopole d’Etat dont elle jouit, la SNCF devait pouvoir bénéficier de l’immunité réservée par la loi américaine aux Etats étrangers. « Mais nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une faille dans ce système, poursuit alors J.-J. Fraenkel.

Il s’avère en effet que la loi invoquée par le juge n’est pas applicable dans certains cas, notamment lorsqu’il y a vols et spoliations. Or, poursuit-il, pendant les transports vers les camps, des fonctionnaires de la SNCF ont volé les Juifs qui étaient alors transportés. Après la guerre, il y a même eu un dépôt d’affaires volés à la gare d’Austerlitz. Nous sommes alors partis à la recherche de témoignages de rescapés et nous en avons ramassé plusieurs. Ce qui nous a permis de déposer, en février 2006, une nouvelle class action, qui vise non plus seulement la SNCF, mais aussi la Caisse des Dépôts et Consignations ainsi que l’Etat français ».

La cour américaine a jugé cette nouvelle plainte recevable. D’autant que le dossier constitué s’est considérablement alourdi depuis 2000. Entre-temps, le rapport d’enquête de la mission Mattéoli sur les spoliations était paru en France. Selon celui-ci, et ainsi qu’il a été repris dans le texte de la poursuite, les accusés auraient « commis, conspiré en vue de commettre, aidés de tiers des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ». Sur ce dossier, la cour new-yorkaise devrait rendre son jugement d’ici le début de l’année 2007 et Jean-Jacques Fraenkel confie avoir de bons espoirs. Kurt Werner Schaechter a quant à lui focalisé ses actions en France, mais ses révélations ont néanmoins fait le tour du monde.

En 1991 à Toulouse, alors qu’il effectue des recherches sur sa famille déportée dans les archives départementales, il prend connaissance d’une dizaine de milliers de documents relatifs aux camps d’internements du Sud-Ouest. Convaincu que ce qu’il y lit est de nature confidentielle et susceptible d’apporter des révélations fracassantes sur le rôle des institutions françaises et des grands corps de l’Etat dans la déportation, il décide de photocopier tous ces documents, malgré l’interdiction formelle en vigueur. Puis, il en envoie des copies à toutes les rédactions françaises. Un procédé qui provoque un malaise. Car si d’un côté certains journaux pensent tenir là des scoops, les historiens, eux, ont le sentiment d’être acculés ou de voir leurs plates-bandes piétinées. Il n’empêche que parmi les documents répandus, figure une facture datée du 12 août 1944, adressée par la SNCF au préfet de Haute-Garonne, qui réclame la somme de 210.385 francs en paiement des transports « d’internés ou d’expulsés », exécutés pendant le premier trimestre 1944.

Montrée du doigt, la SNCF accepte alors enfin, en 1992, d’ouvrir ses archives afin que toute la lumière soit faite sur « le rôle des transports par rail dans le processus des déportations raciales ». Cela aboutira à la remise en 1996 du fameux rapport Bachelier, long de 1.600 pages. Dans ces conclusions, il confirme la participation active de la SNCF dans la déportation, mais il apporte aussi des nuances, en démontrant notamment que celle-ci n’a pas non plus été un acteur autonome et volontaire. Mais pour K. W. Schaechter, les choses ne doivent pas s’arrêter là. Il dépose à son tour, en janvier 1999, une plainte contre la SNCF pour crime contre l’humanité en son nom propre et au nom de l’association Ethic (« Enquête sur la Tragique Histoire des Internements dans les Camps ») et réclame un euro symbolique. Ce qui lui sera refusé. La cour rappelle en effet qu’en droit français, une personne morale (ici la SNCF) ne peut être mise en cause qu’à travers l’un de ses dirigeants et considère donc la plainte irrecevable. Quatre ans plus tard, en mars 2003, l’intéressé saisit à nouveau le TGI de Paris d’une action en responsabilité civile de la SNCF. Cette fois, le tribunal estime que les faits sont trop anciens pour être jugés, la notion d’imprescriptibilité ne pouvant être invoquée devant une cour judiciaire.

En juin 2004, la cour d’appel de Paris confirme cette prescription. C’est pourquoi la victoire obtenue par la famille Lipietz en juillet dernier apparaît comme une première juridique. Le tribunal administratif de Toulouse avait été saisi cinq ans plus tôt par les proches du député écologiste. C’est, dans cette affaire, une lecture attentive par les juges et magistrats du rapport Bachelier qui aboutit à la condamnation de la SNCF. « La société nationale n’a jamais émis ni objection ni protestation dans l’exécution de ces transports », a entre autres estimé la cour. Qui de fait, condamne le 6 juin dernier, la SNCF, sans toutefois évoquer la notion de crime contre l’humanité.

Le motif de prescription évoqué par la compagnie est quant à lui repoussé. Les magistrats affirment en effet que ce n’est qu’à « partir du milieu des années 1990 (au moment de la remise du rapport Bachelier - NDLR) que les victimes ont pu disposer d’informations suffisantes sur leurs créances ». Ce qui incitera les quelque trois cents victimes ou leurs descendants à entamer la même procédure juridique que la famille Lipietz.

Dans la mesure où la procédure en nom collectif n’existe pas en France, il se pourrait tout à fait que l’on assiste, d’ici les mois à venir, à une multitude de procès contre la SNCF.

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